« Les jeunes garçons arrivèrent de bonne heure pour la pendaison. »
Voilà ce que l’on appelle une belle accroche ! Dans Les Piliers de la terre, Ken Follet, l’auteur de nombreux best-sellers, nous embarque dans son histoire dès la première phrase. C’est l’art du bon roman. Captiver son public dès la première phrase et ne plus le lâcher jusqu’à la fin. Et les images défilent devant les yeux : on les voit, ces garçons ; sur une place sans doute. Et il y a cette potence. On s’interroge : qui va être pendu ? Et pourquoi ?
Une lecture des lettres et des syllabes
Comprendre comment on est passé d’une suite de signes – 50 lettres tracées en haut d’une page – aux images qui défilent dans notre tête : voilà ce que cherchent à comprendre les psycholinguistes qui étudient les mécanismes psychologiques de la lecture. Un champ de recherche très prolifique, qui en trente années a réalisé plusieurs découvertes d’importance.
Lire c’est d’abord percevoir des signes sur une page. Des traits droits et arrondis formant des lettres, ces lettres s’assemblant pour former des mots. Première question : le lecteur s’intéresse-t-il d’abord aux lettres, aux syllabes, aux mots entiers ? Sur ce point, les psycholinguistes ont tranché. Et sans nuance. L’idée d’une « lecture globale » qui voudrait que l’on reconnaisse d’un seul coup les mots est une illusion. Même si j’ai le sentiment en lisant rapidement de survoler un mot et de le photographier globalement (comme un ornithologue reconnaît au premier coup d’œil un oiseau), j’ai en fait repéré des lettres clés qui vont servir d’amorçage à la reconnaissance d’un mot. Sur ce point, Ludovic Ferrand et Elsa Spinelli, spécialistes du langage, sont formels : la lecture passe d’abord par la reconnaissance des lettres ou des syllabes (ou graphèmes) et non par la forme globale du mot. « Bien que certains chercheurs défendent encore de nos jours un rôle (modéré) de la forme globale des mots avec un traitement holistique, il est de nos jours admis par l’ensemble de la communauté scientifique que le traitement orthographique passe obligatoirement par le codage des lettres (1) »... Plus précisément, il a été démontré que les deux voies principales de la lecture sont les lettres et les « graphèmes » (« ai », « en », « ou ») équivalents graphiques des syllabes.
Une fois ce processus admis, certaines expériences montrent tout de même un effet en retour de l’identification globale d’un mot sur sa reconnaissance. Voilà pourquoi l’on peut parfois reconnaître un mot altéré comme dans la phrase « je mnge une pmme ».
Dès le début des années 1980, James McClelland et David E. Rumelhart, théoriciens de l’approche connexionniste, avaient construit un modèle de lecture où la reconnaissance d’un mot passe par trois niveaux : celui des traits, celui des lettres, celui des mots, le troisième niveau (celui des mots) pouvant interagir avec le niveau précédent (celui des lettres).