Les 1000 premiers jours de notre cerveau Entretien avec Yehezkel Ben-Ari

Yehezkel Ben-Ari, père du concept de « neuroarchéologie », s’est taillé une réputation mondiale grâce à ses découvertes sur la maturation cérébrale des fœtus et des bébés. Selon lui, notre santé mentale se joue en partie in utero, dans cette période risquée où se bâtissent les fondations de notre cerveau.

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La trajectoire de vie et de carrière de Yehezkel Ben-Ari est singulière, à l’image de ses domaines de recherche. Après une naissance en Égypte et des études supérieures en Israël, c’est en France qu’il finit par poser ses valises de chercheur. Cette biodiversité des cultures dans laquelle il a baigné l’a encouragé à sortir du rang et à innover loin des modes et des enjeux politiques. Après s’être intéressé à l’épilepsie durant de nombreuses années, sa nomination à la direction de l’unité de recherche de la clinique Port-Royal lui ouvre les portes d’un nouvel univers : celui de la biologie du développement fœtal et néonatal. Dès lors, il s’attelle à l’analyse du cerveau du fœtus pendant la grossesse et l’accouchement. Dans la continuité, il fonde deux entreprises de biotechnologies. L’une a pour vocation de comprendre et traiter l’autisme (Neurochlore) et l’autre, la maladie de Parkinson (B&A Therapeutics). À l’aube de ses 76 ans, et au terme de quarante années de recherches en neurobiologie, sa fascination pour le cerveau reste intacte et son activité toujours aussi bouillonnante. Il a créé un institut de recherche, l’institut Ben-Ari de neuroarchéologie, pour déterminer comment naissent in utero nombre de troubles neurologiques et psychiatriques. Son but : encourager, stimuler et financer des recherches innovantes dans des domaines importants de santé publique souvent ignorées par les circuits classiques. « À l’instar de la nature, ma carrière est faite d’expériences, de tâtonnements, d’essais et d’erreurs », résume-t-il. Aussi ne manque-t-il pas de citer le Talmud, selon lequel « la difficulté n’est pas de trouver la réponse, mais de poser la bonne question ».

Vous avez développé un concept, la « neuroarchéologie », pour souligner le lien entre une mauvaise construction du cerveau in utéro et le développement ultérieur de certaines maladies psychiatriques et neurodéveloppementales. Que savons-nous de ce mécanisme ?

Nous savons que le cerveau du fœtus est en pleine construction et qu’il est extrêmement actif et vulnérable. En cas d’attaque (certaines mutations génétiques, un stress important, une prise de certains médicaments, la consommation d’alcool, l’exposition à des pesticides…), ce cerveau en plein chantier est agressé. Son processus de construction est altéré avec des neurones « mal connectés/mal placés ». Mon hypothèse de départ, qui a depuis été confirmée par des recherches expérimentales, est qu’il existe un lien entre ces défauts de maturation neuronale in utero et le développement des pathologies neurologiques et psychiatriques. J’ai proposé que ces neurones, « mal placés/mal connectés », ne mûrissent pas, générant des activités immatures qui perturbent les oscillations cérébrales et les capacités intégratrices du cerveau et qui sont la cause des syndromes. Les signes cliniques de la maladie vont se manifester bien plus tard sans que nous comprenions exactement les causes de ces délais qui parfois peuvent prendre des décennies.