Les avatars de la notion de caste

Les castes ont longtemps fasciné les indianistes : comment les compter, comment fonctionnent-elles, font-elles ou non système ? Les inégalités entre castes sont-elles réellement acceptées par tous ? Des chercheurs reviennent aujourd'hui sur certains clichés.

Dans son Essai sur le régime des castes (1935), le sociologue durkheimien Célestin Bouglé (1870-1940) analysait l’interdépendance des castes (1). Chaque caste est pour lui à la fois autonome et liée au « système » des autres castes selon trois critères : la spécialisation héréditaire, la répulsion et la hiérarchie. Mais C. Bouglé postule la primauté du religieux en Inde et la domination absolue des prêtres sur les autres groupes sociaux. Puisque le brahmane est en contact avec le monde des dieux (grâce à la pratique sacrificielle notamment et en se prémunissant contre toute contamination impure), il est sacré et même le roi est soumis au pouvoir des religieux.

L’évolution de l’usage des castes

Dans son ouvrage Homo hierarchicus (1966), l’ethnologue Louis Dumont (1911-1998) poursuit la logique amorcée par C. Bouglé. Partant de l’ethnographie rigoureuse d’un village d’Inde du Sud (Une sous-caste de l’Inde du Sud, Mouton, 1957), il va progressivement chercher à se débarrasser des concepts occidentaux pour atteindre le cœur de la pensée indienne traditionnelle – influencé en cela à la fois par la sociologie de Marcel Mauss et par les penseurs « occultistes » ou « ésotériques », comme René Guénon ou Mircea Eliade, qui recommandaient d’épouser la mystique indienne pour en comprendre le sens caché. Puis il abandonnera l’Inde pour se faire un exégète du monde occidental, de ses conceptions égalitaires et individualistes, qu’il opposera en bloc au monde hiérarchisé et « holiste » de l’Inde (Essais sur l’individualisme, 1983).
L. Dumont postule que dans la société indienne, un ordre global règne, organisé selon un principe de hiérarchie : chaque caste est plus ou moins pure que les autres, d’où une série d’interdits pour les maintenir séparées. Enfin, la notion de pureté a une origine religieuse : le brahmane, végétarien, est pur ; l’intouchable, carnivore, est impur (2). On lui reprocha cependant de cautionner des clichés occidentaux sur l’Inde, notamment une coupure infranchissable entre l’Inde et nous et l’omniprésence de la religion dans la vie quotidienne.
Mais le regard sur la caste a changé aujourd’hui. Pour Robert Deliège, on ne peut plus considérer que les castes fonctionnent selon un modèle traditionnel immuable comme le voulait la tradition socioanthropologique, de C. Bouglé à L. Dumont. Son idée est celle d’un nouvel usage de la caste dans l’Inde actuelle : de supports d’une hiérarchie de fonctions à la fois rituelles et corporatives, les castes seraient devenues l’instrument d’une concurrence entre de grands blocs de communautés pour l’accès aux ressources économiques et sociales, à la culture et au pouvoir (3).

, 1935, réed. Puf, 1993. , 1966, rééd. Gallimard, coll. « Tel », 1995., , Puf, 2004. , Albin Michel, 2007. , Institut d’ethnologie de Neuchâtel/MSH, 2002.