Les canons de la beauté

Georges Vigarello, Seuil, 2004, 336 p., 21€.
Du visage de la Joconde aux sylphides contemporaines, ce ne sont pas seulement les critères de la beauté qui ont changé... L'historien Georges Vigarello montre que l'histoire des sociétés et des cultures modèle aussi les corps des femmes et des hommes.

Ronsard notait sa « divine corpulence », ses « gestes délicieux », son « odoreuse haleine ». Alexandre Dumas la voyait « hardie de poitrine, cambrée de hanches, ardente de regard ». Dans les années 50, on vante les « charmes mammaires de Gina » (Lollobrigida), « les décolletés stéréoscopiques de Sophia » (Loren), la « démarche enveloppante de Marilyn » (Monroe), les « gestes plus désinvoltes et abandonnés de Bardot » (Brigitte)... Pendant longtemps, la beauté s'est conjuguée au féminin. Mais ne faudrait-il pas parler plutôt des beautés, tant celle-ci apparaît comme une valeur changeante, fonction de la subjectivité des hommes de son temps ?

Dans son Histoire de la beauté, Georges Vigarello va même plus loin : pour lui, ce ne sont pas seulement les valeurs que l'on attribuerait à telle ou telle caractéristique de l'esthétique corporelle qui changent, mais les silhouettes et les formes elles-mêmes qui évoluent avec le temps : l'histoire s'inscrit dans les corps.

Renaissance pudique et morale... contemporanéité imprégnée d'érotisme et de séduction, les contextes sociaux et culturels changeants ont donc transformé les corps féminins et aussi masculins. L'histoire de la beauté épouse celle du déploiement des regards, de l'assouplissement de la morale, des changements de modes de vie, sans oublier les évolutions du genre ni la montée progressive de l'individu et de son autonomie...

Du sourire contenu de la Joconde à la démarche dynamique de la « Parisienne » du xixe siècle, « c'est une lente conquête que reflète l'histoire de la beauté physique », nous explique G. Vigarello.

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Une conquête de territoire tout d'abord. Au xvie siècle, la beauté ne concerne que le haut du corps : « La nature induit les femmes et les hommes à découvrir les parties hautes et à cacher les parties basses, parce que les premières comme propre siège de la beauté doivent se voir, et il n'est pas ainsi des autres étant seulement le soutien et la base des supérieures », écrit un certain Agnolo Firenzuola dans son Discours sur la beauté des dames. Le visage - si possible d'un ovale parfait, couleur de rose ou de lis -, la gorge (pas trop lourde mais censée souligner l'amincissement vers le bas), les mains (épaisses ou minces, longues ou courtes)... sont les critères d'évaluation à un moment de l'histoire où le deuxième sexe devient le « beau sexe » magnifié par peintres et poètes. Création de Dieu, la beauté de la femme est donc une beauté morale : impossible de « veoir une personne belle qui neanmoins serait vicieuse » ! Et il faudra attendre le xixe siècle pour que la coquetterie soit valorisée puis devienne même, selon Paul Vaillant-Couturier en 1935, « une nécessité essentielle »(L'Humanité)...