> Kako Nubukpo
Économiste, ancien ministre de la Prospective et de l’évaluation des politiques publiques du Togo. Dans son dernier ouvrage, L’Urgence africaine (Odile Jacob, 2019), il dresse un portrait sans concession de l’économie africaine.
Quels sont selon vous les principaux freins au développement économique de l’Afrique subsaharienne ?
La croissance africaine ne profite pas à l’ensemble de l’économie. Sur les vingt dernières années, aux alentours de 5 %, elle est la deuxième croissance au monde derrière celle de l’Asie du Sud-Est, mais elle est peu inclusive. Car elle est uniquement basée sur l’exportation de matières premières, sans transformation. Le cours des matières premières tire cette croissance et celle-ci est donc assez volatile. Elle se base sur des secteurs à fort intérêt capitalistique (minerais, pétrole), qui mobilisent beaucoup de machines et de capitaux, mais assez peu de main-d’œuvre. Or ces secteurs à forte croissance ne sont pas ceux où il y a le plus de pauvres. Les chiffres de croissance sont donc trompeurs, ils cachent une réalité moins positive.
Vous faites du néolibéralisme, et surtout des injonctions au néolibéralisme provenant des grandes instances économiques mondiales, une des principales causes de la situation économique africaine actuelle. Pourquoi ?
Les programmes d’ajustements structurels (PAS) sont arrivés au début des années 1980, au moment où l’Afrique amorçait son processus d’industrialisation. Le problème, c’est que les institutions créées par les accords de Bretton Woods en 1945, La Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), ne sont intéressées que par la rigueur, la réalisation d’équilibres macroéconomiques à court terme, la réduction du déficit budgétaire et de la dette ainsi que la lutte contre l’inflation.
Pourtant, lorsque vous avez des industries dans l’enfance, celles-ci coûtent cher au départ. Ce n’est qu’à moyen terme qu’elles apportent un retour sur investissement. L’industrialisation a donc été bloquée par les programmes d’ajustements structurels (PAS), qui ont empêché les investissements. C’est pourquoi le secteur secondaire, celui de l’industrie, de la transformation des matières premières, est resté très faible : il ne représente en moyenne que 19 % du PIB en Afrique, Maghreb compris.
Cela pose une question à laquelle nous n’avons pas encore de réponse : l’Afrique peut-elle sauter l’étape de l’industrialisation ? En Afrique, il y a des économies désaxées, car elles n’ont pas suivi le schéma traditionnel des autres économies. Normalement, le trop-plein d’emplois dans le primaire (agriculture) se déverse dans le secondaire (industrie) avant de se transvaser dans le tertiaire (commerce, services, etc.). L’économie africaine est passée directement du primaire au tertiaire. Or le processus de transformation des matières premières, propre au secondaire, crée la valeur ajoutée et les emplois pérennes. Ce chaînon manquant est pénalisant pour l’Afrique, puisque le tertiaire s’appuie sur les produits fabriqués dans le secondaire. En Afrique, les biens et services consommés sont importés et, en parallèle, il y a une production sans transformation. Les balances commerciales sont donc structurellement déficitaires, parce que ce qui est importé coûte plus cher.