Les enfants ont-ils une conscience de classe?

Dès l’école élémentaire, les enfants perçoivent les inégalités sociales et sont en mesure de se situer dans ces hiérarchies avec une relative justesse.

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Dans son autobiographie, Jean-Paul Sartre évoque avec un humour grinçant le sentiment de supériorité sociale qu’il éprouvait lorsqu’il était enfant, et les attitudes condescendantes qu’il adoptait parfois envers les autres. Décrivant de manière ironique ses croyances et ses comportements de l’époque, il raconte ainsi : « Je tiens la société pour une rigoureuse hiérarchie de mérites et de pouvoirs. (…) Je traite les inférieurs en égaux : c’est un pieux mensonge que je leur fais pour les rendre heureux et dont il convient qu’ils soient dupes jusqu’à un certain point. À ma bonne, au facteur, à ma chienne, je parle d’une voix patiente et tempérée. Dans ce monde en ordre, il y a des pauvres. Je leur glisse dans la main une pièce de deux sous et, surtout, je leur fais cadeau d’un beau sourire égalitaire. Je trouve qu’ils ont l’air bête et je n’aime pas les toucher mais je m’y force : c’est une épreuve. » (Les Mots, 1963).

Loin d’être spécifique à l’expérience du jeune Sartre, cette perception précoce des hiérarchies sociales et de la position, dominante ou dominée, qu’on y occupe est commune à la plupart des enfants. Bien avant d’acquérir une place dans le monde du travail, les enfants possèdent ce que Pierre Bourdieu nomme un « sens pratique de l’espace social ». Sans en être nécessairement conscients, ils « comprennent » que le monde social est structuré par des hiérarchies économiques, culturelles et symboliques, et perçoivent intuitivement comment leur famille se situe au sein de ces hiérarchies.