Ils sont juges ou avocats, consultants ou économistes, activistes d'ONG ou religieux. Ils résident souvent sur le sol américain, dans la Bible-Belt, sur un campus de la côte ouest ou aux abords de la Maison Blanche. Mais ils ont aussi des parents en Europe, plus laïcards mais aimant tout autant jouer de l'indignation. Ils sont prompts à jeter la vindicte sur ceux, Etats, entreprises multinationales ou banques d'affaires, auxquels ils (ou leurs clients) auraient quelque chose à reprocher. Protection de l'environnement, défense des travailleurs du tiers-monde, sanctions économiques meurtrières, crimes de masse du passé sont leurs chevaux de bataille.
Le modus operandi est bien rodé (1. Premier moment : le scandale. Les banques suisses ont-elles collaboré avec le IIIe Reich ? Lorsque Shell aura envoyé ses plates-formes pétrolières obsolètes par le fond de la mer du Nord, y trouvera-t-on encore d'autres coquillages (shell en anglais) (2 ? Pour « être entendu, le dénonciateur se doit de faire appel à un registre émotionnel susceptible de provoquer la honte au sein du groupe, de l'organisation ou de l'Etat auquel il s'adresse. Plus l'accusé a une stature institutionnelle forte, plus l'accusateur est en mesure de sortir grandi de l'injustice qu'il dénonce », observe Ariel Colonomos. Deuxième moment : la punition. Des poursuites judiciaires ou des mesures économiques telles que l'appel au boycott fondent sur l'impétrant, qui subit de surcroît une exposition médiatique dont il se serait bien passé. L'« accusation morale » se tourne alors en « mise en demeure coercitive », à laquelle il est fort difficile d'échapper, pour peu que l'attaque ait été bien ciblée. Troisième moment : la rédemption. L'on indique à l'accusé le chemin du salut, une série de recommandations, de règles à suivre pour celui désireux de se racheter. Le pécheur fait alors souvent amende honorable, souscrivant comme Nike ou Gap à des codes et chartes de bonne conduite (voir l'article p. 46), reconnaissant les erreurs passées et acceptant les demandes d'indemnisation comme UBS (Union des banques suisses) et ses congénères.
Parfois la rédemption est pire que le mal. Shell a dû renoncer à couler ses plates-formes usagées et accepter de les démonter au sol, alors que le potentiel de nuisance écologique était, selon les études disponibles, moindre dans le premier cas que dans le second. Ainsi va la vie des « entrepreneurs de morale »...