Où est passée la société du savoir ?
Forgée en 1969, dit-on, par le « pape du management » Peter Drucker, la notion de « société de la connaissance » a connu, dans les années 1990 son heure de souveraineté. Elle contenait de grandes promesses : l’ouverture à tous des canaux du savoir, le changement de nature du travail, la création de richesse par des moyens « cognitifs », le tout induisant une démocratisation des rapports sociaux et des modes de gouvernement. Pour autant, depuis les années 2000, l’expression sent un peu le placard. Pourquoi ? La prophétie s’est-elle accomplie ? On aurait mauvaise grâce à nier que le numérique et l’open access ont transformé notre rapport au savoir. De ce point de vue, la société de la connaissance, c’est juste la nôtre : plus besoin de la nommer. Mais on ne peut pas dire que ces miracles techniques ont mis fin aux fléaux de l’époque : chômage, crises économiques, souffrance au travail, conflits violents et menace climatique persistante. Sous cet autre angle, la société de la connaissance n’a pas marqué de rupture. Bref, si l’« économie du savoir », adoubée par la déclaration de Lisbonne, le Pnud, l’Unesco, etc., a bien survécu, ses effets sociétaux, eux, se font attendre. À moins que, comme le suggère le sociologue Roger Sue, la notion ait été « trompeuse » dès le départ.
La bulle de la gouvernance
Comment gouverner démocratiquement ? Au début des années 1990, un mot s’est répandu à la vitesse d’une publicité virale : c’était la « gouvernance », barbarisme sorti de nulle part, qui désignait un mode de décision nouveau fondé sur la concertation entre les acteurs publics, privés et associatifs. Il est devenu incantatoire dans la gestion des affaires environnementales, sociales et locales. Qu’en reste-t-il en 2015 ? Selon l’économiste Jacques Theys, le concept s’est heurté, dès les années 2000, à deux reproches : celui de ne désigner aucun processus de décision (déficit d’autorité) ou bien au contraire de ne recouvrir qu’une manipulation cachant un exercice classique de l’autorité. Il a laissé la place à des formules moins originales, telles que la « concertation » ou « l’éthique de gouvernement ».
Le progrès est mort, vive l’innovation !
La critique du progrès ne date pas d’hier. Encore prononçable dans les années 1960, le mot subit une sérieuse attaque dans la décennie suivante : Jacques Ellul, Hans Jonas et d’autres dénoncent un progrès qui se heurtera forcément aux limites des ressources de la planète. Depuis 1992, la menace environnementale globale a plombé son cercueil : l’horizon est désormais sombre. Exit le progrès. Mais les technologies, elles, continuent d’avancer à grands pas. On a donc trouvé des substituts au progrès : ce que l’on nomme « innovation » aujourd’hui n’est rien d’autre que la marche en avant des technosciences découpée en tranches. Comme le faisait remarquer le physicien Étienne Klein, il y a cependant une différence : l’innovation n’est pas censée amener un avenir radieux, mais seulement parer aux catastrophes annoncées. C’est nettement plus modeste.