Les infox

Les infox (aussi appelées fake news) ont envahi la scène publique. Mais de quoi parle-t-on ? Comment distinguer le canular de la propagande, l’erreur de la falsification, le piège à clics de la manipulation ? Est-on face à une simple panique sociale ou faut-il prendre au sérieux le scénario d’une guerre informationnelle ?

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Qu’est-ce qu’une infox ?

Encore absent des dictionnaires français, le mot « infox » vient tout juste d’être introduit par la Commission d’enrichissement de la langue française (Celf) en traduction du terme anglo-saxon fake news. Néologisme sélectionné via la « boîte à idées » de FranceTerme, la base de données terminologiques du ministère de la Culture, il est défini comme une information « mensongère ou délibérément biaisée », servant par exemple « à défavoriser un parti politique, à entacher la réputation d’une personnalité ou d’une entreprise, ou à contrer une vérité scientifique établie » 1. Cet énoncé différencie ainsi l’infox de l’intox par sa restriction aux seuls contenus d’apparence journalistique.

Le terme français semble donc plus circonscrit que le mot « fake news ». Des études constatent d’ailleurs les usages peu rigoureux du terme anglais. Dans son rapport 2017 issu d’une enquête portant sur 70 000 personnes de 36 pays, l’agence de presse Reuters soulignait particulièrement ce problème 2 : « (S’agissant des fake news) les répondants confondent souvent trois catégories : 1) les informations qui sont “inventées” pour gagner de l’argent ou discréditer autrui ; 2) des informations qui ont un fondement, mais qui sont présentées de manière à servir des intérêts particuliers ; 3) des informations avec lesquelles les gens ne se sentent pas à l’aise ou avec lesquelles ils ne sont pas d’accord. »

Quels points communs trouver à des situations aussi diverses que la publication d’un article piège à clics vantant les mérites d’un remède non prouvé contre le cancer, la propagation sur les réseaux sociaux de rumeurs soutenant qu’un complot sataniste et pédophile aurait impulsé l’éducation à la sexualité à l’école, ou le canular d’un site parodique prétendant qu’un collaborateur de l’Élysée aurait reçu les codes nucléaires ?

C’est pourquoi certains chercheurs appellent à se méfier de ce concept : trop peu précis, il constituerait un obstacle à la compréhension de la diversité des phénomènes de désinformation relevant tantôt de la manœuvre politicienne, des croyances sectaires ou de négligences journalistiques. D’autres défendent au contraire la nécessité d’étudier ce terme, car il révélerait une évolution sociale attestée par le succès de cette terminologie, et marquée par une remise en question de la légitimité des médias traditionnels : nouveaux modes de production de l’information où tout un chacun peut endosser le rôle de média ; nouveaux modes de diffusion, via les réseaux sociaux et leurs « bulles filtrantes » ajustées à nos opinions. Pour mieux comprendre ces enjeux, un collectif d’universitaires américains a récemment publié dans la prestigieuse revue Science un appel à produire un contenu scientifique de qualité autour de cette catégorie, fusse-t-elle imparfaite 3.

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Est-ce vraiment un phénomène nouveau ?

La plupart des experts s’accordent à faire remonter l’émergence des infox à la campagne présidentielle américaine de 2016. Plus précisément, si le terme était déjà employé aux États-Unis depuis quelques années pour désigner les fausses nouvelles parodiques telles que celles de l’émission à succès The Daily Show, c’est immédiatement après l’annonce de la victoire du candidat républicain Donald Trump le 9 novembre 2016 que les requêtes en ligne ont brusquement bondi. Encore sous le choc de l’élection inattendue d’un candidat ayant fait campagne sur la base d’affirmations majoritairement erronées – en moyenne 78 % selon l’institut de vérification indépendant Politifact 4 –, une partie de l’Amérique cherche à comprendre : les plates-formes en ligne telles que Facebook auraient-elles indirectement contribué à cette victoire en facilitant la propagation de ces fausses informations ?

Le véritable coup d’envoi aura finalement lieu quelques jours plus tard, avec la publication dans le Washington Post d’un article suggérant un rôle majeur de la propagande russe dans la diffusion des fausses nouvelles qui auraient conduit D. Trump à la Maison-Blanche  5. En France, la question prend de l’importance avec les « Macron Leaks », la diffusion massive à l’avant-veille de l’élection présidentielle de 2017 d’un dossier réunissant le contenu piraté des boîtes mails de six collaborateurs du candidat Emmanuel Macron, associé à des documents falsifiés faisant croire à son implication dans du trafic de drogues, de l’évasion fiscale ou des relations avec des terroristes. Autant de contenus propres à entacher la réputation du candidat, dont les auteurs n’ont pu être identifiés, en dépit de plusieurs indices suggérant une responsabilité du Kremlin.