- Sécularisation. Pour Karl Marx, Emile Durkheim, Max Weber et la plupart des sociologues du début du siècle, le déclin de la religion s'annonçait irréversible. Jusqu'au milieu des années 60, c'est sur ce grand paradigme de la sécularisation que s'est construite la sociologie religieuse. En France, par exemple, les sociologues du religieux, comme Gabriel Le Bras, ont largement étudié le déclin des croyances et de l'emprise sociale du catholicisme. Quels sont les éléments qui caractérisent la sécularisation ?
1) Un mouvement irrésistible de rationalisation de la vie sociale et de « désenchantement du monde » (M. Weber). Le rétrécissement social de la religion et le déclin des grandes institutions religieuses sont l'envers du processus d'expansion de la science.
2) La différenciation des institutions, c'est-à-dire la séparation nette des sphères politique, économique et religieuse. En France notamment, la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat de 1905 a accompagné l'essor de la laïcité. Les sociétés sont bien « sorties de religion » dans la mesure où les sphères de l'activité humaine sont désormais indépendantes des normes et des codes religieux 1.
3) Un processus de « mondanisation », terme qui désigne le détournement des préoccupations spirituelles pour des préoccupations matérielles. La disparition progressive du clergé accompagne l'érosion régulière des pratiques. 60 % des Français continuent de se déclarer catholiques (contre 80 % il y a vingt ans), mais il s'agit plus d'un rattachement à un fonds culturel commun que d'une implication personnelle : 2 % seulement des Français de moins de 25 ans vont régulièrement à la messe dominicale. Les sociologues ont constaté le glissement d'un « christianisme confessant » (pratique régulière, adhésion au Credo) vers un « christianisme culturel » (héritage chrétien commun général) et un humanisme séculier.
Les religions instituées continuent de perdre leur influence. Elles sont devenues incapables de contrôler les conduites et de réguler le champ religieux. La sécularisation représente bien une tendance lourde, qui s'est accentuée à la fin des années 60 2.
- Recomposition. Pour autant, sécularisation ne signifie pas fin de la religiosité, bien au contraire, car le religieux resurgit sous des formes dérégulées. Paradoxe de la modernité : dans les sociétés « sorties de religion », les croyances prolifèrent. La disqualification des grandes religions instituées conduit à une recomposition du sentiment religieux. La religiosité devient libre, fluide et diffuse. Elle se répand « en désordre ».
Les chercheurs ont donc dissocié la question du déclin des grandes religions de la place nouvelle des croyances dans les sociétés. Comme objet d'investigation scientifique, la religion a été réhabilitée. La recherche contemporaine croise les approches sociologiques et anthropologiques. Les analyses du religieux mettent surtout l'accent sur les modalités du croire plutôt que sur le contenu des croyances.
Le phénomène frappant de la modernité religieuse réside dans l'émergence, à partir de la fin des années 60, de nouveaux mouvements religieux (NMR), liés en partie au mouvement de la contre-culture. Ces phénomènes religieux effervescents, ces croyances et pratiques « parallèles » forment une vaste « nébuleuse mystique-ésotérique » (Françoise Champion) : astrologie, voyance, réincarnation, télépathie, expérience de mort imminente, pratiques spirites, groupes syncrétiques d'origine orientale (néo-boudhisme, néo-hindouisme), New Age, etc. Ces mouvements juxtaposent ou combinent les registres spirituels, magiques, thérapeutiques, psychologiques, ou du développement personnel ou professionnel. La modernité connaît la résurgence de sources émotionnelles qu'on croyait disparues (sectes et NMR), mais aussi la remobilisation de la croyance dans les grandes religions historiques, avec par exemple l'expansion rapide des mouvements charismatiques, pentecôtistes ou évangéliques. On assiste également à la radicalisation de certains mouvements religieux : retour à la Torah pour le judaïsme, intégrismes musulmans, etc.