Les mots de la gouvernance

Mot ancien mais popularisé seulement à partir des années 90, la gouvernance suggère un mode de gouvernement organisé sur la base d'une coopération, d'un partenariat ou d'un contrat, entre une pluralité d'acteurs aussi bien publics que privés. À son tour, elle suscite l'émergence de néologismes ou éclaire sous un autre jour des notions plus anciennes.

Autorité

L'émergence de la notion de gouvernance est certes liée à des nécessités économiques (globalisation) ou de politiques publiques, mais aussi à une transformation de la réalité du pouvoir et de l'autorité dans les sociétés actuelles. En effet, il n'y a pas si longtemps dans les sociétés occidentales, parfois aujourd'hui encore en certaines régions du monde, il existait des institutions dont les dirigeants et représentants étaient dotés d'un pouvoir légitime et d'une autorité incontestés. Le prêtre, le représentant de l'Etat ou du parti, l'enseignant, etc. Or, en une trentaine d'années, ces figures ont perdu une bonne part de leur capacité d'imposer une conduite à leurs subordonnés. On ne dirige plus comme avant, et l'on n'accepte plus d'être gouverné ou dirigé comme avant. Cette transformation de l'autorité et du pouvoir est liée à un bouleversement sans précédent des sociétés : généralisation de la scolarisation, activité professionnelle des femmes, accroissement de la consommation, transformation des emplois et des formes d'organisations, etc. Elle s'est accompagnée dans les sociétés développées d'une révolution des moeurs dont les maîtres mots sont « permissivité » et « individualisme ».

Biens communs

La notion de bien commun (common pool ressources), issue du domaine de la gestion des ressources naturelles, s'appliquait à l'origine aux ressources utilisées par un groupe donné, à l'exclusion d'autres utilisateurs, comme la gestion d'un étang ou d'une prairie (contrairement aux biens publics dont l'usage est universel). Reprise par les mouvements écologistes et environnementalistes, cette notion de bien commun a émergé sur la scène internationale dans les années 80, et notamment lors du premier sommet de la Terre, à Rio, en 1992. Elle recouvre alors un sens différent : des espèces, des entités biologiques et territoriales sont envisagées comme des biens vitaux pour l'humanité.

L'enjeu des biens communs porte sur leur gestion. Deux théories s'opposent : la première, de tradition anglo-saxonne, considère que confier des biens communs à des propriétaires permet de mieux les gérer ; la seconde, issue du droit romain, juge inacceptable le risque de voir certains accumuler des biens vitaux au détriment de personnes ou de populations. Elle prône une gestion régalienne (par des entités nationales ou supranationales) sur la base d'un statut patrimonial universel des biens, plutôt qu'à un système de marché.

Bonne gouvernance

Dans nombre de pays en développement, les aides internationales sont détournées ou rendues inefficaces du fait de lourdeurs bureaucratiques ou du poids du clientélisme ; les réussites en la matière, quand elles existent, sont en fait à mettre à l'actif du dynamisme et de l'efficacité d'organisations non gouvernementales. C'est sur la base de ce constat que la Banque mondiale avait, après avoir fait sienne la notion de gouvernance, introduit au milieu des années 90 l'idée de « bonne gouvernance ». Concrètement, elle recouvre des recommandations en faveur du dégonflement de l'Etat, des privatisations, du décloisonnement entre les secteurs public et privé, la limitation de la dette et des dépenses publiques, l'introduction des principes du new public management (soit un management des administrations calqué sur celui des entreprises). Depuis, la notion s'est diffusée à la faveur de publications et de colloques (certains financés par la Banque mondiale) tandis que d'autres organisations internationales faisaient leurs les objectifs de la bonne gouvernance. A commencer par le FMI qui les a associés aux plans de réajustement structurel conditionnant l'octroi de ses prêts. Pour ses détracteurs, la bonne gouvernance n'est qu'un succédané des politiques ultralibérales et du Consensus de Washington établi dans les années 90.