« Non, les enfants ne sont pas des machines cérébrales ! » Tel était le titre alarmiste d’une tribune publiée dans Libération le 15 février 2018, pour contester la nomination du neuroscientifique Stanislas Dehaene à la tête du Conseil scientifique de l’Éducation nationale. « L’heure est au scientisme, à la foi envoûtante et aveuglante en l’imagerie cérébrale », affirmaient ses auteurs, les psychanalystes Émile Rafowicz et Louis Sciara, inquiets que « l’enfant se trouve réduit au fonctionnement de son cerveau ». Quatre ans plus tard, le débat semble apaisé. Il faut dire qu’il y avait malentendu.
Décrire n’est pas prescrire
La première méprise est liée à une mauvaise compréhension du champ disciplinaire des neurosciences, en réalité une branche parmi d’autres des sciences cognitives. Celles-ci englobent une grande variété de disciplines, comme la linguistique ou la psychologie du développement. Or, que ces disciplines s’intéressent à l’éducation n’a rien de nouveau, rappelle Grégoire Borst, directeur du Laboratoire de psychologie du développement et de l’éducation de l’enfant (LaPsyDE). « Le premier psychologue à avoir travaillé sur les problématiques de pédagogie est Alfred Binet au début du 20e siècle. » En outre, les sciences cognitives ne prétendent pas imposer une manière d’enseigner. En ce sens, le terme « neuroéducation » – qui suscite tant les espoirs que les crispations – apparaît aujourd’hui galvaudé. Elles apportent en revanche des éclairages nouveaux sur la façon dont le cerveau, et donc l’enfant, apprend. « Les éducateurs ne peuvent pas faire l’économie de questionner leurs pédagogies à la lumière des sciences cognitives aujourd’hui. Ce serait comme nier les réalités sociologiques à l’école », pense G. Borst.
Outiller les éducateurs
Pourquoi les élèves peinent-ils à comprendre que 1,5 est plus grand que 1,432 ? « Ils ont le réflexe de penser : plus il y a de chiffres dans un nombre, plus il est grand. Ça marche sur les nombres entiers, mais pas sur les décimaux, explique G. Borst. Pour aider l’enfant, il ne suffit pas de lui rappeler la règle mathématique, il faut en appeler à ses fonctions exécutives (processus cognitifs de haut niveau portés par le cortex préfrontal) et lui faire prendre conscience qu’ici, il est piégé par un automatisme de pensée auquel il doit apprendre à résister. » Étudier les mécanismes inhérents à cette « inhibition mentale » est ainsi l’un des principaux champs d’investigation des sciences cognitives en éducation, qui s’intéressent également à la flexibilité cognitive – capacité à passer d’une activité à une autre – ou à la mémoire de travail, impliquée dans la résolution de problèmes. Pour traduire ces nouvelles ressources en pistes pédagogiques concrètes pour les enseignants, Jean-Luc Berthier, ancien formateur à l’École supérieure de l’éducation nationale a créé en 2017 l’association Apprendre et former avec les sciences cognitives. « Nous avons un catalogue de 60-70 modalités pédagogiques, qui ont été expérimentées au sein de 5 000 “cogniclasses” du premier ou du second degré, touchant au total plus de 100 000 élèves. » Parmi elles, les « ateliers méta » amènent les élèves à réfléchir sur les stratégies les plus efficaces pour réaliser une tâche. Une initiative saluée par les enseignants. « Cela permet de remettre en cause des choses que l’on fait depuis longtemps et qui sont inefficaces », estime Juliette Galmiche, enseignante spécialisée. Plus question par exemple de promouvoir l’apprentissage par cœur des leçons à la maison, assure Émilie Decrombecque, enseignante en collège dans une cogniclasse de Charente-Maritime. « Relire la leçon fait appel à la mémoire de travail, qui est importante mais insuffisante pour mémoriser à long terme. J’explique cela aux élèves et comment ils peuvent faire basculer les informations dans la mémoire à long terme. Pour cela, il faut répéter, revenir plusieurs fois sur les informations à retenir. »