Le projet des routes de la Soie s’inscrit dans une double ambition chinoise : d’une part, retrouver le premier rang mondial qui fut l’apanage de la Chine avant l’émergence de l’Occident et l’avènement de la mondialisation atlantique (les « traités inégaux » du milieu du 19e siècle consacrant le déclin de l’empire du Milieu jusqu’à sa renaissance, après la mort de Mao en 1976), d’autre part, asseoir les fondements de sa puissance, en sécurisant ses approvisionnements alimentaires et énergétiques ainsi que ses exportations de marchandises.
Le terme « routes de la Soie » a été forgé en 1877 par un géographe allemand, Ferdinand von Richthofen (1833-1905), pour décrire les grandes voies historiques de circulation des marchandises entre l’Asie et l’Europe. Bien que la réalité historique soit assez floue, car de multiples courants d’échanges irriguaient en réalité l’ensemble de l’Eurasie, le terme porte une telle charge symbolique qu’il a été repris en 2013 par le président chinois Xi Jinping pour désigner le lancement d’un immense projet d’infrastructures visant à relier son pays au reste du monde, initiant une nouvelle mondialisation centrée non plus sur l’Occident, mais sur la Chine.
Une géopolitique mondiale réécrite
Initialement nommé « routes de la Soie », le projet est devenu en 2017 « l’initiative de la ceinture et de la route » (Belt and Road Initiative ou BRI). Derrière ce terme quelque peu sibyllin, se cache une ambition à la mesure du nouveau géant des relations internationales : tisser un réseau de voies de circulation terrestres et maritimes et de points d’appui stratégiques permettant de restaurer l’empire du Milieu comme l’un des centres de gravité du monde.
Les moyens employés sont multiples : investissements massifs dans les infrastructures, partenariats politiques et économiques, échanges culturels s’inscrivant dans une logique de soft power. Plus de 80 pays ont à ce jour signé des accords de coopération avec la Chine dans le cadre de ces nouvelles routes de la Soie.
À travers la BRI, c’est toute la géopolitique mondiale qui est en passe d’être réécrite : qu’il s’agisse de l’Asie centrale, du Sud et du Sud-Est, de l’Arctique, du Moyen et du Proche-Orient, de l’Afrique, de l’Europe, de l’Amérique latine, de l’océan Indien, de l’Australie, pas un continent, pas une région n’échappe aujourd’hui à l’ambition chinoise ! Ceux qui se gaussent des réalisations encore limitées du projet sur le terrain oublient à quel point l’initiative est récente et se veut planétaire. La nouvelle épine dorsale du monde se situe désormais en Eurasie.
La Chine s’est en effet toujours perçue comme une puissance assiégée et menacée, qui devait sécuriser son territoire, autant sur le plan interne qu’externe. Cette théorie de la menace est consubstantielle à la naissance de l’Empire au 3e siècle avant J.C., elle justifie la mise en place d’un système étatique totalitaire, fondé sur une bureaucratie conçue pour se pérenniser. Pour y parvenir, le prince doit « faire le plein dans les ventres et le vide dans les têtes ». L’État policier, autoritaire et interventionniste doit tuer dans l’œuf toute velléité de contestation en créant une « société harmonieuse », qui garantisse la « petite prospérité » des classes moyennes urbaines, mais aussi celle des ruraux, longtemps sacrifiés sur l’autel du miracle économique chinois, avec ses taux de croissance à deux chiffres, sources d’inégalités internes croissantes.
Dans ses différentes composantes, la BRI répond exactement à cette ambition, et est portée par un gouvernement chinois fort, qui s’est donné l’assurance institutionnelle de la continuité et de la stabilité par la réforme constitutionnelle de mars 2018. Abolissant la limitation à deux mandats de l’exercice présidentiel, cette dernière ouvre la possibilité à Xi Jinping, au pouvoir depuis 2013, de se maintenir indéfiniment à la tête du pays. À la fois secrétaire général du Parti communiste et commandant de l’armée, ayant aboli par la purge et la censure toute opposition, le président chinois dirige d’une main de fer une Chine qui pèse le cinquième de l’humanité et ne cache pas ses ambitions de redevenir la première puissance mondiale pour le centième anniversaire de la création de la République populaire démocratique chinoise (RDPC) en 2049, comme l’avait annoncé Deng Xiaoping dès 1978.