Le nombre des organisations non-gouvernementales (ONG) actives à l'échelle nationale ou internationale est aujourd'hui considérable et les interventions humanitaires jouent un rôle important dans la politique mondiale. Leurs dirigeants, à l'image des célèbres French doctors que sont Bernard Kouchner, Xavier Emmanuelli ou Rony Brauman, ont depuis plus de trente ans contribué à la prise de conscience par les opinions publiques des pays occidentaux de la souffrance des populations soumises aux guerres, aux famines ou aux épidémies dans d'autres parties du globe. Ils se sont construit une notoriété médiatique qui leur a permis d'influencer les interventions des pays les plus riches et les plus puissants en faveur des populations menacées. Ils ont largement contribué à l'évolution du droit international en promouvant la notion de droit d'ingérence, qui a été invoquée à plusieurs reprises ces dernières années pour justifier des interventions internationales sur des questions relevant jusque-là exclusivement de la souveraineté de chaque Etat.
Prolifération et professionnalisation
Mais ces succès sont depuis quelques années fréquemment critiqués. Le financement des ONG, de plus en plus assumé par les Etats ou leurs émanations internationales, a provoqué des interrogations sur leur caractère « non-gouvernemental » et sur la transparence de leur gestion. Leur prétention à la neutralité politique a également attiré la critique, plusieurs observateurs ayant constaté leur complicité, involontaire ou non, avec certains protagonistes des conflits dans lesquels elles interviennent. Enfin, la notion même de droit d'ingérence a été critiquée, notamment en raison de l'ambiguïté des critères qui la fondent.
Les évaluations du nombre des ONG varient selon les auteurs et les critères qu'ils retiennent pour les définir, mais la tendance à la prolifération est observée par tous. Pascal Dauvin et Johanna Siméant 1 ne comptabilisent par exemple que les ONG recensées par l'Union des associations internationales : leur nombre passe néanmoins de 110 en 1953 à 631 en 1993. Marc-Antoine Pérouse de Montclos 2 retient une définition beaucoup plus large, englobant toutes les ONG nationales et internationales à but humanitaire habilitées à recevoir une aide extérieure. L'ONU recense actuellement 50 000 ONG de ce type, contre 10 000 au début des années 80 et 700 en 1939. Dans les régions du monde les plus en difficulté du point de vue humanitaire, la concentration d'ONG peut être impressionnante. Selon Pierre de Senarclens 3, 150 ONG étaient actives au Rwanda à la veille du génocide de 1994.
Cette prolifération s'est évidemment accompagnée d'une croissance équivalente des personnels employés par les ONG. Progressivement, les bénévoles ont perdu leur hégémonie au sein des organisations, de même que les personnels médicaux. Médecins du monde est passée de deux salariés permanents en 1984 à 250 aujourd'hui. Et sur 756 volontaires expatriés par cette organisation en 1997, on recensait 176 médecins et 132 infirmières, mais aussi 192 administrateurs et logisticiens. Autrement dit, l'humanitaire est un secteur qui offre désormais des « carrières professionnelles » et pas seulement « militantes », pour reprendre la typologie de P. Dauvin et J. Siméant. En termes plus littéraires, Jean-Christophe Ruffin constate qu'on est passé du « romantisme polyvalent » à « l'efficacité de professionnels » 4. Professionnalisation et croissance se sont évidemment accompagnées d'une augmentation considérable des budgets : celui de Médecins sans frontières (MSF) est passé en vingt ans de 19 à 330 millions de francs.
Devant une telle croissance et de telles masses financières, il est logique que la gestion des ONG ait fait l'objet d'interrogations. En mars 2002, Sylvie Brunel, présidente démissionnaire d'Action contre la faim (ACF), a jeté un pavé dans la mare en dénonçant les salaires des cadres supérieurs des ONG. Ces salaires, dépassant 30 000 francs par mois, sont selon elle « incompatibles avec le fait de solliciter la générosité publique » dans la mesure où « le donateur moyen gagne entre trois et quatre fois moins que les responsables des ONG » 5. Le directeur de Care-France, Philippe Lévêque, lui a répondu que dans les pays anglo-saxons, la question a été tranchée en faveur de la professionnalisation : les salaires élevés des responsables seraient justifiés par leurs compétences, et le respect des donateurs est garanti par des audits réguliers et sévères assurant une « transparence dure ».