Au cours des quarante dernières années, de nombreux spécialistes des sciences humaines se sont tournés vers la psychologie sociale et la théorie de la privation relative en particulier, afin de mieux comprendre ce qui motive les individus à prendre part à des actions de révolte et de contestation. Après un essor important, suivi d'une période de déclin, puis d'un renouvellement, cette théorie incarne à nouveau une perspective théorique des plus influentes en psychologie sociale 1.
La théorie de la privation relative postule que, pour comprendre le sentiment d'être privé ou injustement traité, il faut tenir compte des comparaisons que les individus établissent entre leur propre situation et celle d'autrui. Ainsi, une personne totalement démunie peut être satisfaite de son sort dans la mesure où elle n'espère pas davantage et se compare à d'autres qui vivent la même situation de privation. A l'opposé, une personne objectivement très à l'aise sur le plan économique peut se sentir profondément insatisfaite de sa situation dans la mesure où elle se compare à d'autres qui profitent d'une situation encore meilleure que la sienne, et aspirer à ce type de situation. De nombreuses observations sont venues accréditer cette théorie en témoignant de la relativité des sentiments de bien-être et du fait que les individus les plus actifs au sein de divers mouvements de contestation sont souvent non pas ceux qui appartiennent aux catégories les plus dépourvues, mais ceux qui ont déjà progressé de manière sensible dans l'échelle sociale. Comment expliquer par exemple que les Irlandais, les Danois, les Néerlandais se déclarent plus satisfaits de la vie que les Français, les Italiens ou les Allemands de l'Ouest, alors qu'au même moment, on peut établir objectivement que le niveau de vie des premiers est, dans certains cas, beaucoup plus faible que celui des seconds ? Qui serait plus heureux que les gagnants du gros lot à la loterie ? Eh bien oui, ceux qui n'ont pas gagné ! Parce que le fait de gagner la loterie est un événement tellement extraordinaire qu'il devient un standard de comparaison très saillant pour le gagnant, un standard par rapport auquel peuvent « pâlir » tous les petits plaisirs de la vie quotidienne. En accord avec cette proposition, on a pu montrer que le sentiment de bonheur général des gagnants à la loterie n'est pas plus élevé que celui d'un groupe de personnes comparables n'ayant pas gagné alors que la satisfaction que l'on retire des activités de la vie quotidienne (lire, parler avec un ami, etc.) est significativement plus faible chez les gagnants 2.