Les règles de l'hospitalité

Inviter des amis, accueillir des étrangers sur son sol, recevoir ses parents... L'hospitalité apparaît comme un devoir ou une règle de civilité assez universelle. Elle suppose des règles de conduites et des obligations implicites tant de la part de l'invité que de celui qui reçoit.

L'hospitalité, une forme essentielle de l'interaction sociale, peut même apparaître comme une forme propre de l'hominisation 1 ou tout au moins comme l'une des formes les plus essentielles de la socialisation. Elle est une manière momentanée de vivre ensemble, régie par des règles, des rites et des lois. Homère en avait établi les règles fixes et le déroulement, depuis l'instant où un visiteur approche la maison de l'hôte jusqu'au moment de son départ. Il en décrivait le rituel par une série de micro-scènes incluant, parmi d'autres, l'arrivée, la réception, s'asseoir, festoyer, dire son nom et sa patrie, se coucher, se baigner, le don des cadeaux, la prise de congé... Tout cela était établi selon un protocole, suivant des formules et dans un ordre bien déterminé. L'attitude de l'hôte se marquait d'abord par le geste de donner à boire et à manger. On sait comment le verre d'eau ou la tasse de café représente dans les pays méditerranéens le geste de l'hospitalité le plus spontané et le plus immédiat, et combien la table et le banquet sont le centre, le foyer principal autour duquel s'organise l'hospitalité. Mais l'hospitalité ne se réduit pas à la seule offre d'une restauration et d'un hébergement librement consentis. La relation interpersonnelle instaurée implique un lien social, des valeurs de solidarité et de sociabilité. Dans son célèbre Essai sur le don2, Marcel Mauss, en décrivant l'exercice des prestations et des contre-prestations qui régissent le cycle des échanges dans des sociétés « arriérées », « primitives » ou « archaïques », montre qu'il s'agit d'un phénomène social total. Ce qu'on échange ne sont pas seulement des biens de consommation, des choses utiles économiquement, mais des politesses, des festins, des rites, des danses, des fêtes. Les sociétés occidentales modernes conservent un certain nombre de traits de telles pratiques et nous ne différons guère dans nos usages de ce qui se fait dans les sociétés archaïques dans le jeu des dons et des contre-dons.

Sans doute le « bel arc-en-ciel de l'hospitalité », selon la belle formule d'Edmond Jabès 3, n'a-t-il plus de nos jours le même éclat qu'il a pu connaître autrefois, lorsqu'Ulysse, parcourant les mers, faisait à chacune de ses aventures l'épreuve de l'hospitalité. Déjà, à la fin du xviiie siècle, Knigge, un homme des Lumières, dans Du commerce entre les hommes4, le grand classique de la politesse en Allemagne, pouvait écrire : « Dans les anciens temps, on se faisait une haute idée des devoirs de l'hospitalité. Cette idée prévaut encore dans les pays et les provinces point trop peuplés, ou bien dans ceux où règnent des moeurs plus simples et où on rencontre moins de richesse, de luxe et de corruption, ou bien à la campagne, et les droits de l'hospitalité y sont sacrés. En revanche, dans nos villes brillantes, d'où le ton de la haute société commence peu à peu de bannir toute bonhomie, les lois de l'hospitalité ne sont plus que des règles de politesse que chacun, selon sa position et son bon plaisir, admet et respecte plus ou moins. »