Les robots vont-ils tuer les emplois ?

Quatre emplois sur dix, y compris dans les métiers qualifiés, risquent d’être automatisés dans les vingt ans à venir : cette prédiction alarmiste, largement relayée par la presse au printemps 2015, est-elle valide ?

Fin 2014, une étude largement relayée par les médias alerte sur les risques majeurs que la révolution digitale en cours fait peser sur les emplois le travail  1. En France, dans les dix années à venir, 42 % des métiers risquent d’être transformés par la numérisation. 3 millions d’emplois pourraient être détruits. La robotisation va ainsi contribuer, promet l’étude, à « déstabiliser en profondeur les classes moyennes françaises ».

Concrètement, l’étude menée par le cabinet de consultant Roland Berger explique qu’une nouvelle génération de robots et de machines va désormais s’attaquer à des secteurs jusque-là épargnés par l’automatisation des tâches : dans la santé, des logiciels de diagnostics médicaux et des robots distributeurs de médicaments pourraient se substituer aux agents de soin. Les voitures automatisées, déjà opérationnelles, risquent de remplacer les chauffeurs. Même le métier de journaliste n’est pas épargné : des logiciels comme Quill sont déjà capables de rédiger des articles financiers et des comptes de matchs sportifs…

Conclusion : l’automatisation des tâches qui a supprimé des emplois dans l’industrie s’attaque désormais aux secteurs des services et des emplois plus qualifiés. Après les classes populaires, ce sont les classes moyennes qui sont menacées.

Les machines et les emplois, quelles relations ?

Force est de l’admettre : le remplacement progressif des humains par les machines semble une loi implacable de l’histoire. C’est d’ailleurs la raison principale pour laquelle on fabrique des machines : pour alléger l’effort et augmenter les forces humaines. Donc, à terme, pour les remplacer. Durant les trente glorieuses, l’arrivée des tracteurs et machines agricoles a permis de décupler la puissance de travail des paysans : la production de céréales, légumes, viandes, lait augmentait à mesure que le nombre d’agriculteurs diminuait. Puis ce fut au tour des emplois d’ouvriers spécialisés (OS), ces ouvriers qui soudaient ou peignaient les automobiles sur des chaînes de montage, d’être supprimés par des robots industriels. Aujourd’hui, les assurances, la banque et les services en général semblent connaître le même sort que les agriculteurs et les ouvriers naguère.

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Mais comment comprendre alors que durant les trente glorieuses, période de grands progrès techniques, le nombre d’emplois global n’a cessé d’augmenter ? Comment expliquer qu’aujourd’hui un pays comme l’Allemagne, qui a un taux d’équipement en robots deux fois supérieur à la France (par nombre de salariés), ait aussi un taux de chômage nettement inférieur ?

Une réponse à cette énigme avait été apportée par l’économiste et démographe Alfred Sauvy dès les années 1980. Dans La Machine et le Chômage, il s’en prenait à l’illusion du « chômage technologique ». Si, à court terme, la machine diminue l’emploi dans un secteur (comme ce fut le cas dans l’agriculture), elle a aussi des effets positifs à long terme. La baisse des coûts des produits alimentaires entraîne en effet une augmentation du pouvoir d’achat des consommateurs, qui vont alors transférer leur consommation vers d’autres secteurs : les produits industriels ou la santé. C’est ce qu’il appelait la théorie du déversement. Voilà pourquoi les enfants des agriculteurs des trente glorieuses ont quitté « un à un le pays pour s’en aller gagner leur vie loin de la ferme où ils sont nés » (comme dit la chanson de Jean Ferrat), et gonflé les rangs des classes moyennes.