Sciences Humaines : De plus en plus de voix s'élèvent contre le modèle américain de management, devenu dominant. Mais comment sont formés les manageurs outre-Atlantique ?
Jean-Claude Thoenig : La business school est une école professionnelle spécialisée adossée à une université. Elle recrute un corps professoral permanent formé de docteurs en gestion. Enseignants et pédagogues, ils sont recrutés et promus au cours de leur carrière sur la base de leurs publications de recherche dans des revues scientifiques.
Le MBA (master of business administration) dispense en deux années des cours payants à des étudiants diplômés dont l'ambition est d'être immédiatement recrutés par des entreprises à leur sortie. Des savoirs instrumentaux ou fonctionnels y sont dispensés : la comptabilité, la finance, etc. Plus essentiel, l'objectif est de former des généralistes à compétence universelle et à vocation de dirigeants. L'enseignement est de style prescriptif ou utilitariste. Le manageur est un designer : il énonce des solutions à des problèmes, il incarne la rationalité des moyens et l'efficience financière.
L'AOM (Academy of Management) est une association professionnelle rassemblant les enseignants et chercheurs du secteur. Son colloque annuel attire des milliers de participants. Elle sert à la fois de lieu de recrutement et de débats professionnels, et de garant des codes de bonnes conduites. Elle possède aussi une influente revue scientifique.
Le dispositif est enfin doté d'une capacité de certification. Un organisme spécifique alloue aux écoles de gestion qui le demandent son label de qualité en contrepartie d'une stricte conformité à des critères rigides et codifiés. La pratique généralisée du classement régule la concurrence entre programmes de MBA en favorisant une référence qui est celle du vainqueur. Les formations offertes par les universités telles que Harvard, Wharton et Chicago occupent avec persistance la tête du classement international en matière d'excellence et de notoriété.
Outre la formation, la domination du modèle américain ne s'impose-t-elle pas par la recherche ? Les chercheurs américains ne sont-ils pas ceux qui publient le plus, et dans les revues les plus prestigieuses ?
Près de 70 % des articles publiés dans les revues de recherche en gestion les plus cotées entre 1991 et 2002 sont signés par au moins un auteur établi aux Etats-Unis, le fait étant que plus de 95 % d'entre elles sont américaines. Si les oracles prédisent le déclin de la formation au management, sa mort ne paraît pas assurée.