Léviathan, monstre destructeur ou puissance protectrice ?

Monstre marin d’origine mythique, le Léviathan fait 
aussi office, depuis le 17e siècle, d’allégorie de la puissance protectrice de l’état. Ce nouvel habit ne lui a pas pour autant 
garanti une image positive.

À l’origine, le Léviathan est un monstre de la mythologie phénicienne, représentant le chaos primitif, un serpent de mer capable de tout détruire, évoqué, par la suite, de nombreuses fois dans la tradition biblique. Selon Le Livre de Baruch 1, apocryphe de la Bible, le Léviathan, horrible monstre marin, surgit lors du cinquième jour de la Création, en même temps que Béhémoth, créature gigantesque régnant sur les terres. Le Livre d’Isaïe, partie de l’Ancien Testament, parle quant à lui du sort réservé au Léviathan, destiné à périr lors du Jugement dernier : « En ce jour, l’Éternel frappera de sa dure, grande et forte épée le Léviathan, serpent fuyard, le Léviathan, serpent tortueux ; et il tuera le monstre qui est dans la mer2. » Dans l’attente de cette fin apocalyptique, le Léviathan a traversé les textes et les époques. Au cours du Moyen Âge, l’image du Léviathan devient satanique : la gueule béante du gigantesque serpent de mer figure l’entrée des enfers sur le frontispice de nombreuses églises. Mais aujourd’hui, le nom du monstre évoque deux idées bien différentes : dans son acception biblique, le Léviathan reste une entité menaçante et chaotique, mais il a aussi entamé, sous la plume du philosophe anglais Thomas Hobbes, une tout autre carrière.

Tous contre tous

Le Léviathan ou Traité de la matière, de la forme et du pouvoir d’une république ecclésiastique et civile, publié en 1651, est l’œuvre majeure de T. Hobbes. Soucieux de comprendre et de fonder en raison l’existence des organisations humaines, T. Hobbes suppose l’existence d’un état primordial de l’humanité, l’état de nature, dans lequel chaque individu aurait été totalement indépendant des autres, livré à lui-même et ne disposant pour assurer sa survie que de sa seule force. Dans cet état, l’individu n’est doté, a priori, que d’un seul et unique droit, le droit de nature ou jus naturale, que T. Hobbes désigne comme « la liberté que chaque homme a d’user de son propre pouvoir pour la préservation de sa propre nature, c’est-à-dire de sa propre vie ; et, par conséquent, de faire tout ce qu’il concevra, selon son jugement et sa raison propres, être le meilleur moyen pour cela. 3 ». Ce droit de l’homme à assurer sa survie à n’importe quel prix entraîne un état de guerre permanent de tous contre tous 4 illustré par la maxime « l’homme est un loup pour l’homme5 ». Cet état de nature est donc par essence, selon T. Hobbes, insupportable. L’homme dut à tout prix s’entendre avec ses semblables afin de conserver durablement ce qu’il a de plus cher : sa propre vie. Mais instaurer la paix entre les hommes ne peut pas se faire par une simple promesse collective 6. En effet, supposons que je m’engage à ne pas attenter à la vie d’autrui pour quelque raison que ce soit. Comment m’assurer en retour que l’autre, avec qui je passe cet accord, tienne également sa promesse ?