Maghreb, finisterre de l'islam

Le Maghreb est une terre de passage. Son histoire révèle les tensions entre les hégémonies successives des Berbères, des Empires musulmans et de l’Europe.

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Le Maghreb est d’abord la terre des Berbères. Le terme qualifie, en grec puis en arabe, celui qui est étranger de langue et de mœurs. Ce peuple, caractérisé par une famille linguistique propre, le berbère, est disséminé sur un vaste espace, s’étendant de la vallée du Nil jusqu’aux îles Canaries. Dans l’Antiquité, même s’il s’est doté d’une écriture alphabétique (le tifinagh) très probablement inspirée du phénicien, les transmissions culturelles y étaient essentiellement orales.

Le Maghreb représente avant tout un « finisterre », situé à la limite du monde connu, au bord de ce que les géographes de langue arabe nommaient « la mer environnante », cet océan Atlantique alors perçu comme enserrant la totalité des terres. Avec des abris rares, un relief tourmenté et des déserts difficilement franchissables au sud et à l’est, le Maghreb constitue un ensemble géographiquement distinct des contrées voisines. C’est pourquoi il lui fut attribué en arabe le nom d’Île du Couchant (Jazîra al-Maghrib), le Sahara étant assimilé à une mer en raison du caractère périlleux que revêtait sa traversée.

Les premiers siècles de l’islam

Les conquêtes arabo-musulmanes, au 7e siècle, ne sont connues pratiquement que par des sources rédigées en arabe, au Moyen-Orient, des siècles après les événements ; la visée était alors de faire l’apologie des conquérants qui avaient imposé l’islam sur de vastes contrées. À l’époque coloniale, de nombreux chercheurs ont insisté sur les racines chrétiennes et latines du Maghreb pour mieux souligner la régression qu’aurait constituée selon eux la diffusion de l’islam dans la population. Pour mieux justifier l’entreprise de colonisation, ils cherchèrent aux Berbères des origines européennes, qui auraient expliqué « biologiquement » l’apparition, parmi eux, de théologiens tels Tertullien (mort en 220) ou saint Augustin (mort en 430). Face aux Berbères, supposément porteurs de sang européen, et avec lui, de la raison, du progrès et de la civilisation, les Arabes auraient été les représentants de la régression et du fanatisme. Ce contexte explique la réinvention, au 19e siècle, de noms inspirés de l’Antiquité préislamique tels qu’« Afrique du Nord » ou « Libye ».

Aussi n’est-il guère étonnant que les élites des États issus de la décolonisation aient produit un contre-récit valorisant à l’inverse la période médiévale. La conquête arabo-musulmane du 7e siècle y est présentée comme l’étape de construction des identités nationales maghrébines face aux envahisseurs, antérieurs (romains, vandales, byzantins) et postérieurs (normands, ibériques et finalement français, italiens et espagnols). Dans cette entreprise de construction d’histoires nationales, les processus linguistiques (arabisation) et religieux (islamisation) ont été présentés comme rapides et globaux. La survivance tardive du paganisme, du judaïsme et du christianisme a été largement occultée, ainsi que l’utilisation de la langue berbère, restée massive pendant des siècles.