Mais que font les linguistes ?

Où sont aujourd'hui les sciences du langage dans le paysage de la recherche et de la formation ? Un colloque de l'Association des sciences du langage vient de dresser un état des lieux. Les réponses apportées concluent à la nécessité d'un renouvellement.

À l'occasion de son vingtième anniversaire, l'Association des sciences du langage (ASL) a organisé un colloque dont l'intitulé se voulait à la fois ironique et préoccupé : « Mais que font les linguistes ? Les sciences du langage, vingt ans après ». L'ASL avait identifié huit champs pour lesquels elle souhaitait qu'un bilan soit établi : l'histoire de la langue et la linguistique historique ; la phonologie ; la morphosyntaxe de l'oral ; la politique linguistique ; les voisinages disciplinaires de la linguistique ; l'étude des pathologies du langage ; la linguistique textuelle et l'analyse du discours ; la sociolinguistique et le rapport à la société civile. Pour chaque domaine, un enseignant-chercheur faisant autorité avait préparé un état des lieux, incluant parfois un point de vue personnel sur la situation.

Il y avait deux façons de comprendre « Mais que font les linguistes ? ». La première consistait à entendre une réelle de- mande d'informations sur les chantiers en cours et les théories en présence. Certains intervenants ont plutôt répondu sur ce mode, apportant ainsi des éléments utiles à la communauté scientifique (états des corpus, évolution des modèles, résultats récents...). Dans la seconde interprétation, le titre du colloque prenait la coloration de la question rhétorique (« Mais que fait donc la police ? ») par laquelle on exprime son indignation ou son anxiété face à l'absence d'une autorité pourtant nécessaire. De fait, où est passée la « science pilote » si lumineuse des années 60 ?

Un courageux mea-culpa

C'est sur cette dimension plus inquiète que portait une part des interventions et des débats. Il faut dire que la situation des sciences du langage n'est pas en tous points aussi brillante que le méritent à la fois l'intérêt intrinsèque de la discipline et la qualité des travaux réalisés. La baisse des effectifs étudiants dans les départements de linguistique ne peut pas laisser indifférent, de même que la maigreur du nombre de postes de professeurs et de maîtres de conférences en 7e section (sciences du langage). Bien entendu, les causes de cette situation sont multiples. Certaines difficultés résultent de la politique nationale d'éducation et de recherche (absence de création de postes dans l'enseignement supérieur, fortes inégalités en dotation entre universités, investissement moindre des pouvoirs publics dans les formations universitaires au profit d'autres types d'études tels que classes prépas et grandes écoles...). D'autres sont communes aux lettres et aux sciences humaines et sociales (très défavorisées dans les budgets de recherche par rapport à leurs voisines dites « dures »). Certains facteurs, enfin, sont liés à la discipline mais ne peuvent décemment pas être retenus contre elle (par exemple, il est incontestable que la haute technicité d'une partie de la linguistique freine parfois sa valorisation auprès du grand public).