Maladies mentales. Le cas de la dépression

Blues, coup de cafard, déprime, dépression grave, telle est la palette d'une souffrance devenue presque ordinaire dans nos sociétés. Qui n'a connu dans son entourage, ou pour lui-même, cet état de vide, de désintérêt pour la vie, de repli sur soi, parfois accompagné de troubles du sommeil et de l'appétit, et, dans les pires des cas, d'idées noires de plus en plus envahissantes, qui poussent certains jusqu'au suicide ?

Que faire, face à cette souffrance qui, même si elle est fréquente, demeure pour celui qui la vit un fardeau solitaire, mais dont les effets retentissent sur son entourage ? Quelles en sont les causes, et les traitements ? Comment distinguer le trouble grave, aux conséquences dangereuses pour la vie de la personne puisqu'il y a risque de suicide, de la déprime passagère ? Est-ce une simple différence d'intensité ou se trouve-t-on réellement en face de troubles de nature différente ?

La dépression pose en fait aux spécialistes les mêmes questions que la plupart des troubles mentaux : comment faire la part dans ces troubles entre leurs facteurs biologiques, psychologiques ou sociaux, tant au niveau des causes de la maladie (étiologie) que de son traitement (thérapie), ou de son diagnostic (nosologie). Ces trois questions (cause, diagnostic et traitement) sont d'ailleurs fortement liées. Les causes supposées orientent tel ou tel choix thérapeutique ou telle ou telle classification. Dès lors, un point de vue biologique, psychologique ou social sur la maladie retentit sur de nombreux aspects de son étude, de sa compréhension et de son traitement.

Déjà, au ve siècle av. J.-C., Hippocrate attribuait ce qu'il appelait alors la « mélancolie » à une cause biologique, à savoir un mauvais fonctionnement des « humeurs », c'est-à-dire les substances qui circulent dans le corps. Mais ce n'est que dans les années 50, avec la découverte des psychotropes, ces substances chimiques qui ont une action sur l'état mental, que l'hypothèse de causes biologiques de la maladie mentale, comme la dépression, mais surtout la schizophrénie et la maniaco-dépression, s'est de plus en plus imposée. Comme pour tous les psychotropes, la découverte des antidépresseurs fut le fruit du hasard et du sens de l'observation des psychiatres. Alors qu'on découvre en 1952 le premier neuroleptique, il faut attendre 1957 pour le premier antidépresseur. Les premiers neuroleptiques vont supprimer les hallucinations des grands délirants et calmer les malades les plus agités. Face à ces effets « miraculeux », la recherche de molécules proches à l'efficacité meilleure, ou à moindre effet secondaire, est engagée. Dans ce but, la firme pharmaceutique Ciba-Geigy modifie légèrement la formule chimique d'un neuroleptique. Malheureusement, il ne donne plus les effets attendus. Par contre, ce nouveau produit semble améliorer l'humeur des schizophrènes à tendance dépressive. Lorsque le Suisse Roland Kühn se décide à le tester chez des patients dépressifs « purs », il découvre alors sa réelle action antidépressive. Les années 50 sont véritablement la période dorée des psychotropes, puisque toujours en 1957, une équipe de psychiatres américains découvre, toujours par hasard, les propriétés antidépressives d'un antituberculeux. Toutefois, contrairement à d'autres psychotropes comme les neuroleptiques ou les tranquillisants, les antidépresseurs n'ont pas l'efficacité à quasi 100 % de leurs cousins. Statistiquement, ils ne sont efficaces que dans 60 à 70 % des cas. Plus curieusement, leur efficacité varie fortement selon le thérapeute qui les prescrit. Certains obtiennent une guérison dans presque tous les cas, d'autres sont régulièrement confrontés aux rechutes, récidives, résistances.

L'hypothèse neurologique de la dépression

Comment expliquer cette variabilité de résultats ? L'une des raisons réside dans la nature biochimique du médicament. D'une part, il existe différentes familles d'antidépresseurs, certains étant des sédatifs, d'autres des stimulants. Selon l'état du dépressif, amorphe et ralenti, ou au contraire anxieux et agité, on prescrira l'un ou l'autre de ces antidépresseurs. D'autre part, le psychiatre doit choisir (en France) entre vingt-neuf produits différents, dont les effets ne sont pas les mêmes selon les patients, et dont on ne peut mesurer l'efficacité qu'au bout de deux ou trois semaines. On mesure alors la difficulté à déterminer la meilleure molécule. Et malheureusement, il n'existe aucun test biologique qui permette de déterminer d'avance ce dont le malade a besoin. Tout comme on ne sait pas exactement par quels mécanismes neurologiques ils agissent.