Masculin-féminin : la nature du genre

Les études sur le genre conçoivent la différence entre hommes et femmes comme une construction culturelle. Pourtant, les débats autour de la parité et de l’homoparentalité ont eu souvent recours à la nature pour justifier certains points de vue…
En cet automne 2006, une Française est donc devenue « présidentiable » à la tête de l’Etat français… Un demi-siècle après la parution du Deuxième Sexe (Simone de Beauvoir doit jubiler dans sa tombe !) et après que les Françaises ont obtenu le droit de vote puis leur émancipation « légale » par toute une série de lois, le débat sur la différence des sexes serait-il réglé ?
En fait, c’est à tout le contraire que nous assistons. Pour certaines, les stéréotypes de sexes, la violence symbolique de la domination masculine et ses avatars – sexisme, machisme – n’ont pas disparu. Pour d’autres, l’égalité ne signifie pas qu’il faille gommer les différences entre l’un et l’autre sexe. Cet argument a profondément divisé les féministes depuis sa naissance, et notamment au moment où le Mouvement de libération des femmes battait son plein dans les années 1960. Mais en France, il n’apparaissait qu’en filigrane, servant même de prétexte pour fustiger l’extrémisme de dangereuses – mais lointaines – féministes hystériques d’outre-Atlantique…
Chassée par la porte (par les partisan[e]s d’une singularité française qui prônerait l’adhésion des deux sexes à un « universalisme neutre » et à un féminisme convivial propre à rassurer le mâle latin), la question du différentialisme est, au tournant du xxie siècle, rentrée par la fenêtre à l’occasion de débats qui se sont croisés sur la parité en politique (voir l’encadré) et à propos de l’instauration du pacte civil de solidarité (pacs).
Dans les années 1990 donc, la question d’accorder des droits économiques et sociaux à des couples autres que ceux unis par les liens du mariage, a engendré celle du droit – revendiqué par les couples homosexuels – à former une famille. Autrement dit, couples gays et lesbiens pouvaient-ils avoir des enfants, par le biais de l’adoption, de la procréation médicale ou par quelque autre arrangement ? En France, ce débat a fait rage au moment du vote du pacs.
La sociologue Irène Théry et la philosophe Sylviane Agacinski sont venues apporter de l’eau au moulin des défenseurs farouches du couple hétérosexuel en présentant celui-ci comme une sorte de fondement ontologique de la famille, de la société et de la culture. Selon I. Théry, qui, dans un article de la revue Esprit (n° 10, mars 1997), s’opposait à l’instauration du pacs, « cette symbolique des genres, du masculin et du féminin, existe dans toutes les sociétés humaines ; elle est ce par quoi la culture accorde sens à la caractéristique de l’espèce vivante que nous sommes ».

Une illusion anthropologique

Politique des sexes, publié par S. Agacinski en 1998, se présente comme un plaidoyer pour une parité politique qui refléterait le dualisme sexué de la société ; il est aussi une prise de position radicale contre les familles homosexuelles. La famille est fondée sur des règles de parenté et de filiation immuables, dont la « plus universelle est qu’un enfant ne peut être issu que d’un père et d’une mère, c’est-à-dire d’un homme et d’une femme ». La mixité est une « valeur fondamentale, universelle, éthique autant que biologique (…), l’autre sexe est une figure fondamentale de l’autre, (et) il ne serait pas sans conséquences graves de vouloir neutraliser le principe de la double origine de l’homme », assène la philosophe.
Oui mais voilà, ces prises de position – qui affirment pourtant s’étayer sur la culture plutôt que sur la nature – ont pour certains de forts relents essentialistes. C’est le cas par exemple du sociologue Eric Fassin qui dénonce là une « illusion anthropologique ». C’est aussi la position de la philosophe américaine Judith Butler qui, dans son dernier ouvrage paru en français (Défaire le genre, 2006), dissèque attentivement ces arguments, au regard de la théorie queer. Né aux Etats-Unis dans les années 1990, le mouvement queer refuse le modèle hétérosexuel et binaire, réunissant en son sein aussi bien des gays et des lesbiennes que ceux qui refusent une quelconque assignation de genre : transsexuels, transgenres, travestis… Théoricienne de ce mouvement, J. Butler plaide pour une déconstruction radicale des normes et une subversion des identités de genre, masculine ou féminine, hétéro ou homosexuelle. Pour elle, le débat français se situe certes au-delà des « condamnations conservatrices et réactionnaires qui consistent à présenter l’homosexualité comme une forme contre nature », mais c’est, toujours selon J. Butler, l’identité et la culture française qui sont en jeu. S’en prenant à S. Agacinski qui, dans une tribune du Monde, présentait la queer theory et les gender studies américaines comme « un futur monstrueux menaçant la France », elle dénonce cet « ordre symbolique » défendu par les Françaises qui serait fondé sur une « hétérosexualité normative ». Autant d’affirmations qui, selon J. Butler et dans la lignée des déconstructionnistes du genre, dénotent des peurs bien souvent niées devant la montée des transformations sociales contemporaines, aussi bien au niveau des pratiques sexuelles que des biotechnologies ou du métissage croissant des cultures.