Mémoire collective : des trous et des trop-pleins

Chaque nuit, une horde de molosses aux yeux jaunes, tous crocs dehors, traverse au galop les rêves de l’ami du réalisateur israélien Ari Folman… Décidé à élucider ces images lancinantes, ce dernier part dans son film Valse avec Bachir (2008) à la recherche de leur passé. Peu à peu, avec l’aide de ses anciens compagnons de régiment qu’il contacte et interroge pour l’occasion, Ari retrouve bribe par bribe, les souvenirs enfouis. La guerre de 1982 au Liban, les massacres de Sabra et Chatila (1) auxquels, sous les ordres de l’armée israélienne, ils ont assisté passivement… et qu’il a, pendant vingt ans, gommés de sa mémoire. Ces mêmes manifestations d’amnésie sont d’ailleurs présentes chez ses anciens camarades de guerre, avec qui il va progressivement reconstituer le puzzle des événements.

Pourquoi un tel trou de mémoire ? Refus de se voir dans la peau de tortionnaires ? D’assumer une mauvaise conscience engendrée par la politique de défense de son propre pays ? Nombreux sont les exemples dans l’histoire du xxe siècle, de ces formes de dénis psychiques, individuels ou collectifs qui consistent à occulter les moments troubles du passé, les souvenirs dérangeants, insupportables… que ce soit dans le camp des bourreaux ou dans celui des victimes. Les historiens ont bien montré que, jusqu’aux années 1960, les survivants de la Shoah se sont tus, et que l’une des raisons de ce silence était la douleur et la honte. Comme l’avait déjà montré Sigmund Freud, l’évitement de la souffrance ou de la culpabilité peut engendrer le refoulement, censure de la mémoire, par un mécanisme de défense sauvegardant ainsi l’intégrité du moi.

(1) (2) Pierre-Yves Gaudard, « Mémoire, déni et refoulement collectif en Allemagne », Pierre Bayard et Alain Brossat (dir.), , Laurence Teper, 2008.