Sur les réseaux sociaux comme sur les plateaux de télévision, il est à la mode d’exclure l’éthique des relations internationales, ou plutôt de prétendre le faire en se drapant dans la posture du « réaliste » froid, analyste impartial des rapports de force, « adulte dans la pièce » dénonçant l’hystérisation du débat, sur l’Ukraine, Gaza, le changement climatique, ou autre sujet chaud du moment.
Sauf que cela n’est pas du réalisme. C’est ce que Raymond Aron appelait le « faux réalisme », c’est-à-dire le cynisme. Être réaliste, c’est tenir compte des contraintes du réel, reconnaître les rapports de force, se méfier des abstractions et juger la valeur d’une proposition à sa faisabilité, sans se faire d’illusion sur la volonté ou la capacité des acteurs de respecter les principes qu’ils invoquent, comprendre que les États cherchent à maximiser leur intérêt national et sont plus souvent en conflit qu’en harmonie, etc. Mais ce n’est pas exclure les considérations morales, car le fait est qu’elles font partie de la réalité. Si l’attaque russe contre l’Ukraine ou celle du Hamas contre Israël font réagir, c’est précisément pour des raisons morales. Parce que ces attaques semblent injustifiées, au sens où elles étaient non provoquées, et injustes, au sens où elles visaient des civils innocents. Si les voix des petits États insulaires comptent autant dans les négociations climatiques, c’est parce qu’ils incarnent l’injustice d’une situation dans laquelle ceux qui émettent le moins paient le prix le plus fort avec la montée des eaux et la multiplication des catastrophes naturelles.