Michel Pastoureau Une histoire haute en couleurs

Le blanc est bien une couleur ! En s'en emparant, le médiéviste poursuit sa grande œuvre chromatique. Associé à la Vierge, puis aux rois, le blanc occupe une place centrale dans l'imaginaire collectif.

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Michel Pastoureau poursuit son voyage passionnant à travers l’histoire des couleurs. Après Bleu (2000), Noir (2008), Vert (2013), Rouge (2016) et Jaune (2019), le médiéviste s’est intéressé au Blanc (2022) : couleur des dieux et du pouvoir, elle occupe depuis l’Antiquité une place centrale dans la vie quotidienne et dans l’imaginaire des sociétés européennes.

Aujourd’hui incontournable, l’historien de l’art, philologue et sémiologue a pourtant bataillé dans les années 1960-1970 pour imposer ses travaux sur l’héraldique, le bestiaire ou les couleurs, alors jugés anecdotiques. Dans Dernière visite chez le roi Arthur. Histoire d’un premier livre paru en mars 2023 au Seuil, il revient sur les coulisses de la publication de son premier opus et sur les grandes évolutions historiographiques. Rencontre.

Dans votre nouveau livre, vous revenez sur vos débuts de jeune chercheur. D’où vous vient ce goût pour le Moyen Âge ?

Enfant, j’avais un camarade de plage dont la grand-mère tenait le cinéma paroissial. Nous y jouions parfois « les ouvreuses ». En 1954, elle a passé Ivanhoé de Richard Thorpe (1952). À cet instant, j’ai troqué mon amour des cow-boys pour celui des chevaliers. Par la suite, j’ai lu le merveilleux roman de Walter Scott… Depuis, j’ai découvert que cette épopée de 1819, qui a été un des plus grands succès de librairie de tous les temps, avait influencé beaucoup de médiévistes français, Jacques Le Goff en tête !

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Mon intérêt pour l'héraldique a démarré quelques années plus tard, lorsqu’en quatrième, le professeur de dessin nous a demandé de dessiner un vitrail avec des armoiries. Cet exercice m’a beaucoup plu et l’héraldique est devenue une passion d’adolescent, puis mon premier terrain de recherche, à travers ma thèse consacrée au bestiaire dans l’héraldique médiévale.

Au tournant des années 1970, vos travaux sur l’héraldique, l’histoire des animaux, puis des couleurs sont jugés anecdotiques. Pourquoi ?

Après Mai 68, un jeune historien avait le devoir d’être utile à la société. À côté de mes camarades, dont certains planchaient sur les courbes du prix du pain au 18e siècle, mes recherches sur les animaux, puis les couleurs passaient pour des caprices un peu frivoles. Heureusement, cela n’a pas duré. Rapidement, sous l’effet de chercheurs tels que Georges Duby ou J. Le Goff, l'histoire des mentalités et de la vie quotidienne s’est largement imposée. J’ai une dette envers ces deux grands médiévistes qui m’ont mis le pied à l’étrier. J’ai ensuite eu la chance d'être élu très jeune professeur à l’École pratique des hautes études (EPHE), où pendant quarante ans j’ai bénéficié d’une grande liberté.

Vous évoquez la parution de votre premier ouvrage, La Vie quotidienne en France et en Angleterre au temps des chevaliers de la Table ronde en 1976 dans la célèbre collection « Vie quotidienne » d’Hachette. Nostalgie ? Souci d’actualisation ?

Un peu des deux, sans doute. Je pensais pouvoir actualiser ce livre qui me tenait à cœur. Mais en près d’un demi-siècle, le public a changé, le niveau de culture a baissé ou disons que les intérêts se sont déplacés. Il m’aurait fallu expliquer de nombreux termes, abandonner les développements sur le droit féodal qui n’intéresse plus grand monde et faire une place à l’histoire du vêtement ou de l'alimentation et parler de sexe – y a-t-il vraiment une relation charnelle dans l’amour courtois ? Devant l’ampleur de la tâche, j’ai choisi de raconter les conditions dans lesquelles je l’avais écrit, et ce qu'était la vulgarisation historique il y a quarante-cinq ans. C’est en cela un travail à la fois biographique et historiographique. En tant qu’historien, je suis très sensible aux changements dans l’enseignement et dans les savoirs.