Anthropologue de renom, professeur honoraire à l'université de Cambridge, amoureux de la France méridionale où il séjourne une partie de l'année et se plaît à déguster les huîtres de l'étang de Thau, Jack Goody est aussi un grand voyageur qui, depuis quarante ans, compare et confronte les cultures et les sociétés d'Afrique, d'Europe, d'Asie... Bien difficile, d'ailleurs, d'accoler une étiquette à cet homme qui s'est intéressé aussi bien aux rites culinaires qu'aux effets de l'écriture sur les transformations sociales, ou encore à la diversité des modèles familiaux à travers le monde. Ethnologue ? Historien ? Sociologue ? Si le terme n'était pas aussi galvaudé, on aurait plutôt envie de le décrire comme un grand savant, dont l'étendue des connaissances est mise au service d'une pensée forte et de convictions déterminées.
Sur la famille par exemple, J. Goody n'en est pas à ses premiers travaux. Depuis une quinzaine d'années, il combat une thèse très répandue chez les sociologues et certains grands historiens de ce siècle, selon laquelle il existerait un modèle familial spécifique à l'Europe - celui de la famille nucléaire, composée du simple couple et de ses enfants - qui aurait permis à ce continent d'inventer la modernité, et le développement capitaliste comme corollaire. J. Goody n'hésite pas à qualifier ces travaux de « spéculations ethnocentriques », qui supposeraient une frontière bien définie entre le moderne et le traditionnel, autrement dit, dans l'esprit de ceux qu'il combat, d'un côté une Europe en avance et de l'autre, tout le reste des peuples, orientaux, africains... considérés comme arriérés, ou tout au moins largement en retard sur l'Occident.
La perspective comparatiste dans laquelle se situe J. Goody lui a déjà permis de démontrer la fluidité des modèles familiaux sur les divers continents et selon les époques. « On ne connaît pratiquement aucune société dans l'histoire du genre humain où la famille élémentaire (nucléaire) n'ait joué un rôle important... » ; « Même dans les sociétés où la monogamie n'est pas exigée [...]. Le groupe familial conçu comme unité de production et de reproduction est toujours relativement restreint », affirme-t-il en préalable de son dernier livre, La Famille en Europe. Dans un précédent ouvrage (Famille et mariage en Eurasie, Puf, 2000 pour la traduction française), il montrait certaines similitudes dans la pratique de la dot, les systèmes de production et d'accumulation familiale entre les sociétés de la Chine prérévolutionnaire, du Tibet, de certaines régions de l'Inde (où il a suivi son épouse Esther Goody sur le terrain), où encore du Moyen-Orient ancien, en ruinant le schéma d'une « singularité occidentale » face à un monde oriental statique et archaïque.