Toute société a ses oracles. Les dirigeants de la Grèce antique quêtaient quelques lumières sur leur avenir auprès de la Pythie de Delphes. Possédée par le dieu Apollon, la vierge prophétisait en vers obscurs, et quelques prêtres qu’on imagine dûment rémunérés se chargeaient d’en déchiffrer l’augure. Deux millénaires et demi plus tard, il se murmure que le président de la République, François Mitterrand, consultait Madame Soleil à ses heures de doute.
Être prospectiviste aujourd’hui, c’est plus que jamais devoir s’affranchir à la fois des boules de cristal et des préjugés mal étayés pour percer les brumes du temps et esquisser des futurs plausibles. Dans tous les secteurs d’activité, l’incertitude est accrue aujourd’hui sous l’effet conjoint de l’accélération des technologies et de la dégradation de l’environnement global. Et ces deux phénomènes poussent les acteurs internationaux à réagir, accroissant s’il en était besoin les marges d’imprévisibilité.
Dans ce Grand Dossier des sciences humaines, désireux d’esquisser des pistes pour penser le monde qui pourrait être à l’horizon 2050, nous avons souhaité démonter les mécaniques des trajectoires à l’œuvre en six parties. Nous avons dressé des synthèses des projections qu’opèrent différents acteurs, que ce soient les organisations internationales ou les cabinets d’experts. Nous avons ponctuellement requis l’assistance de chercheurs pour esquisser des pistes d’avenir, en se démarquant du stérilisant débat des pessimistes contre les optimistes. Cela n’aurait pas de sens, sinon de pousser tantôt au catastrophisme pour se faire peur (« Tout va s’effondrer, fuyez vers la campagne, braves gens, pour vivre dans des communautés à l’abri du cataclysme à venir »), tantôt à la tranquillité béate type « Le premier immortel est déjà né », sous-entendu qu’il ne tient qu’à vous d’accéder à la vie éternelle et autres balivernes du la-techno-a-réponse-à-tout.
Le miroir de la géopolitique
Chaque partie de ce dossier s’ouvrant par une interview, nous commençons par donner la parole à Amandine Orsini, professeure en science politique. Elle dresse un tour d’horizon des tensions qui traversent notre planète. Il y est question des inégalités entre pays comme entre êtres humains, et des manières de remédier à ces faisceaux d’égoïsmes entrelacés. Seront également évoquées les luttes contre les dégradations environnementales, la nécessaire justice climatique et le rôle normatif que pourrait jouer l’Union européenne.