La santé est une affaire trop complexe pour être abandonnée aux personnels soignants. Au fil de ses ouvrages, Muriel Darmon interroge en sociologue des objets qui relèvent de l’habituelle chasse gardée de la médecine, de la psychologie ou des neurosciences. Après avoir « ouvert la boîte noire de l’anorexie » dans son ouvrage Devenir anorexique. Une approche sociologique (La Découverte, 2003), elle s’intéresse aux victimes d’accidents vasculaires cérébraux (AVC) dans son dernier livre, Réparer les cerveaux. Sociologie des pertes et des récupérations post-AVC (La Découverte, 2021).
Comment récupère-t-on après un AVC ? Si des facteurs biologiques interviennent, Muriel Darmon montre le poids des processus sociaux. Après avoir passé près d’un an au plus proche des équipes médicales dans les services de neurologie et de rééducation d’un hôpital universitaire, puis dans un centre de rééducation, elle raconte la fabrication sociale des diagnostics et des parcours de soin.
Qu’est-ce que ça veut dire, en tant que sociologue, de s’intéresser à un objet comme l’AVC, qui relève habituellement de la psychologie ou des sciences du cerveau ?
Cette posture qui est la mienne depuis ma thèse sur l’anorexie relève d’une volonté double. D’abord, je défends l’idée que le regard sociologique sur ce type d’objet peut apporter une connaissance nouvelle. Il existe un lien entre pathologies et classes sociales. Ensuite, il s’agit de réfléchir dans quelle mesure étudier un objet qui ne lui est pas habituel interroge en retour ma discipline, sur ce qu’elle voit ou pas, ou autrement. Construire un point de vue sociologique propre, c’est aussi le construire en marquant la différence par rapport à d’autres formes d’explication aujourd’hui dominantes, comme les explications neurologiques, qui vont mettre l’accent sur les conduites individuelles…