Naissance de la psychologie expérimentale

Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, nombre de philosophes et de scientifiques réfléchissent aux moyens de rendre plus scientifique l'étude des processus psychologiques. Pour leurs travaux, ils inventent et testent des méthodes expérimentales qui constitueront les bases de la recherche en psychologie.

Aujourd'hui, tous les étudiants en psychologie trouvent évident d'adopter, dans la recherche, des outils spécifiques et validés en vue d'analyser scientifiquement des phénomènes psychologiques. Que ce soit pour les mécanismes d'influence en psychologie sociale, ceux de la mémoire en psychologie cognitive, ou les troubles de l'attention dans le cas d'atteintes neurologiques, il en existe une immense variété, qui renvoie à plusieurs méthodes 1. L'observation est l'une des plus anciennes, avec l'aide de tests et d'enquêtes. Une autre méthode, dite expérimentale, s'effectue sur le terrain ou en laboratoire, lequel permet la manipulation des variables que l'on teste (par exemple, l'âge dans des épreuves de mémoire) et des variables qu'on ne teste pas mais dont on contrôle les effets. D'autres méthodes sont statistiques, ou comparatives, et des outils toujours plus précis (de mesure de temps de réaction, par exemple) et techniques (comme l'imagerie médicale) vérifient ou invalident depuis plus d'un siècle un très grand nombre d'hypothèses.

Comme le rappelle le psychologue Paul Fraisse, « ce n'est qu'au xixe siècle qu'est né le projet d'une connaissance scientifique du psychisme humain », lorsque « les résultats éclatants ainsi obtenus par des procédés expérimentaux en physiologie et en biologie ont incité les savants à appliquer ces mêmes méthodes expérimentales à la psychologie »2. Ce projet va se concrétiser grâce aux travaux et aux intuitions de quelques précurseurs, en Allemagne, en France puis aux Etats-Unis, durant la seconde moitié du xixe siècle. Qu'il s'agisse de Wilhem Wundt, de Théodule Ribot, puis plus tard de William James, chacun a apporté une contribution majeure en posant les bases de la psychologie « scientifique » ou « expérimentale », ou en favorisant sa diffusion. En choisissant de se démarquer de la philosophie, et plus spécifiquement de la métaphysique 3, en s'intéressant aux mécanismes psychologiques simples ou complexes, en adaptant à leur étude les méthodes des sciences de la nature, ils ont lentement dessiné les contours de la recherche en psychologie.

Introspection et observation

Pour comprendre ce changement majeur, un retour dans le passé s'impose. Au XVIIIe siècle, la métaphysique est de rigueur pour déchiffrer l'essence de l'âme. La méthode employée est la réflexion théorique, qui ne peut être soumise à aucune validation empirique. Mais le développement des sciences fragilise cette démarche connue sous le nom de « philosophie (ou psychologie) rationnelle ». Le philosophe allemand Christian Wolff (1679-1754), conseille de diviser la psychologie en deux composantes complémentaires, la psychologie rationnelle (qu'il faut continuer à utiliser) et la psychologie empirique (à développer). Pour lui, l'étude philosophique de la nature des opérations psychiques doit s'accompagner d'une « analyse de l'âme et de ses opérations basée sur l'expérience privilégiée que constitue à la fois la conscience de ce qui se passe en nous et l'observation externe » 4. L'introspection et l'observation sont donc posées comme outils indispensables de la compréhension des mécanismes psychologiques, ce qui sera admis par de nombreux psychologues de l'époque.

Contrairement à lui, d'autres par la suite ne sépareront plus ce qui relève du corps de leurs recherches psychologiques, puisque l'on commence à supposer un lien entre les opérations de l'âme et les mécanismes nerveux. Le XIXe siècle est marqué par un incroyable développement scientifique, qui concerne notamment la physiologie du système nerveux. L'organisation des tissus nerveux en cellules est peu à peu décodée, et cette découverte va servir de modèle anatomique à certaines théories psychologiques (notamment dans l'école anglaise) : comme le cerveau, qui est organisé en cellules, les phénomènes psychologiques sont composés d'éléments associés, qu'il s'agit d'identifier et dont il faut comprendre les relations.