Au concile de Nicée, en 325, une clique d'évêques soutenus par l'empereur Constantin imposa au sein de l'Eglise chrétienne le dogme de la « sainte Trinité ». Dieu est unique, mais se présente sous trois formes : Père, Fils et Saint-Esprit. Un seul dieu en trois. Ce dogme donnera par la suite bien du fil à retordre aux théologiens. Comment justifier pareille bizarrerie métaphysique ? On s'en tira avec une pirouette : la nature ultime de Dieu est un mystère insondable qui échappera toujours à la raison des hommes. L'inconscient des psychologues entretient-il quelques rapports avec le Dieu des chrétiens ? En premier lieu, rien ne prouve qu'il existe. Ensuite, sa nature est inconnaissable (hors de quoi, il ne serait justement pas « inconscient »). Enfin, il se présente sous trois formes.
L'inconscient selon Freud
La première forme est celle de l'inconscient freudien ? une autre façon de désigner les pulsions sexuelles refoulées ? ; le deuxième est l'inconscient cognitif : tout ce que l'on perçoit, mémorise, apprend et découvre sans en avoir conscience. Enfin, l'inconscient darwinien est une autre façon de désigner les instincts ? de l'instinct maternel à l'instinct tribal ?, c'est-à-dire des programmes de conduites innées léguées à l'espèce humaine par des millions d'années d'évolution.
La notion d'inconscient a émergé bien avant que Sigmund Freud s'en empare. Dès le milieu du XIXe siècle, philosophes, psychiatres et psychologues avaient déjà proposé plusieurs théories de l'inconscient. Des philosophes allemands (Eduard von Hartmann, Carl Gustav Carus) avaient déjà assimilé l'inconscient à une force vitale plus ou moins obscure guidant notre destinée à notre insu. Certains psychiatres parlent à la même époque de « psychologie des profondeurs » (Eugen Bleuler) ou de « subconscient » (Pierre Janet). Des psychologues comme John H. Jackson ou Theodor Lipps (que S. Freud voit comme un concurrent direct) s'intéressent aux automatismes mentaux ? réflexes et habitudes ? qui nous font parfois agir comme des automates.
Le succès de la psychanalyse, dès les années 1920, va éclipser peu à peu toutes les autres versions de l'inconscient. Dans le premier modèle, forgé à la fin des années 1890, la notion d'inconscient est étroitement associée à deux notions centrales : celle de sexualité infantile et celle de refoulement. Certaines pulsions sexuelles de l'enfant (le petit garçon désire posséder sa mère, la petite fille désire son père) sont interdites, refoulées et reléguées dans les zones d'ombre du psychisme. Elles ne trouvent à s'exprimer que sous des formes détournées : rêves ou actes manqués. Et par les névroses aussi. Car lorsque le désir est trop puissant et le refoulement trop fort, le conflit psychique peut se transformer en névrose.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, S. Freud élaborera une seconde version du psychisme (la « seconde topique »). Le psychiatre se penche alors sur les désastres psychiques de la guerre. Certains soldats souffrent de graves traumatismes, hantés par des cauchemars répétant de façon obsessionnelle les scènes violentes qu'ils ont vécues au front. D'où vient cette « pulsion de répétition », cette tendance à se repasser le film intérieur de ces moments tragiques ? Difficile d'attribuer ces cauchemars à des désirs sexuels refoulés (comme S. Freud l'avait fait dans L'Interprétation des rêves). Il imagine alors qu'à côté de la libido existe une autre pulsion, destructrice celle-là : la pulsion de mort. Pulsion de vie et pulsion de mort, amour et agressivité, Eros et Thanatos : les deux forces se côtoient dans le psychisme humain.
A la même époque, S. Freud propose également de rebaptiser l'inconscient le « ça » (terme emprunté à Georg Groddeck). Il s'agit pour lui de lever une ambiguïté. Le mot inconscient peut difficilement qualifier des pulsions que la psychanalyse s'attache justement à rendre conscientes.
Le plus curieux est que l'usage de ce mot va continuer son périple tout au long du XXe siècle alors que son fondateur avait pris ses distances avec ce terme profondément équivoque.