Nudge, la manipulation bienveillante

Le nudge, c’est ce petit coup de coude discret qui permet d’aiguillonner quelqu’un, sans ordre ni menace. Notion à la mode dans les politiques publiques, pour inciter à faire le tri ou à manger plus sainement. Mais attention, la résistance s’organise…

En 2008, Nudge, le livre de l’économiste Richard Thaler et du juriste Cass Sunstein, avait pour ambition de renouveler notre conception des politiques publiques. L’ouvrage s’appuyait sur les théories de l’économie dite « comportementale », qui postule que l’homme n’est pas un animal rationnel cherchant à optimiser son intérêt, mais voit ses décisions affectées par une multitude de biais cognitifs et de réflexes émotionnels. Nudge, en anglais, signifie « coup de coude ».

Faire un nudge signifie pousser quelqu’un discrètement dans la direction qu’on souhaite lui voir prendre. Plutôt qu’œuvrer à l’aide de lois et de régulations, les auteurs se demandent s’il serait possible d’encourager le citoyen à prendre les bonnes décisions en orientant subtilement ses pulsions et ses biais inconscients. Cette idée a donné naissance à une doctrine qu’ils appellent le « paternalisme libertaire » (obliger et punir le moins possible, diriger discrètement, à coup de nudges) et conduit à une méthode, l’« architecture du choix » (par laquelle il s’agit de mettre en avant les options jugées les plus conformes au bien collectif). Un exemple très simple d’architecture de choix nous est donné par R. Thaler et C. Sunstein : si une entreprise désire que ses employés mangent plus sainement à la cantine, il suffit de mettre le bar à salade près de l’entrée plutôt que des frites et des plats en sauce. Lorsque les salariés arriveront devant ces derniers, ils se seront déjà copieusement servis en crudités et seront moins tentés de remplir leurs assiettes de produits gras et caloriques.

La théorie du nudge reçut un accueil particulièrement favorable à la fin des années 2000. Dès son élection, Barack Obama nomma C. Sunstein à la tête de l’autorité des régulations. Notons toutefois qu’il ne conserva pas ce poste lors du second mandat de B. Obama en 2012. Un autre dirigeant passionné par la théorie du nudge n’était autre que David Cameron 1 : il avait même constitué une nudge unit, un cabinet d’experts réfléchissant aux moyens d’utiliser le nudge dans la politique publique britannique. Pour D. Cameron, le nudge était un ingrédient fondamental de son projet de big society : l’idée que la société civile était capable de s’occuper d’elle-même, réduisant par là même substantiellement les dépenses de l’État ! Cela nous enseigne clairement que l’idéologie du nudge s’inscrit dans une idéologie libérale, si ce n’est libertarienne.