La communication animale est souvent de type publicitaire. Certains animaux passent un temps considérable à se signaler. Les rossignols mâles, par exemple, chantent de manière répétitive du matin au soir pour tenter de se distinguer auprès des femelles. On pourrait croire qu’Homo sapiens sapiens est au-dessus de cela. Nous échangeons des informations, ce qui semble plus utile et plus noble. À bien y regarder, cependant, nous ne sommes peut-être pas si différents.
« Burro » n’est pas « beurre »
Nous prononçons en moyenne 16 000 mots par jour ; les plus bavards en prononcent 50 000. Nous passons à peu près un tiers de notre temps éveillé, soit six heures par jour, à des activités de langage. Est-ce pour « échanger » des informations ? Ce serait bien étonnant. La futilité de bon nombre de nos conversations devrait nous alerter : notre manière de communiquer a peut-être des objectifs tout autres.
De quoi parlons-nous ? Si un ingénieur devait faire parler des robots entre eux, ils échangeraient des données moyennes, représentatives des situations les plus probables parmi celles qu’ils ont rencontrées. Nous faisons exactement le contraire. Nous parlons à propos de situations singulières qui n’ont aucune chance de se reproduire. Ces histoires sont, de surcroît, souvent futiles, comme l’aventure de cette amie qui a cru demander du beurre dans un magasin d’alimentation en Espagne en utilisant le mot italien « burro », qui signifie en réalité « âne ». Cette histoire, bien racontée, a tenu son auditoire en haleine pendant deux minutes.
Parler de situations singulières n’est pas juste une habitude ou une mode. Le plaisir que nous y prenons en masque le réel enjeu. Si vous dites à un collègue que votre sœur vient d’acheter un vélo neuf, il risque de vous observer bizarrement. La situation rapportée n’a, a priori, rien de singulier. Les conséquences « d’erreurs » de ce type, si elles se répètent, sont prévisibles : vous risquez de compromettre votre réseau social. À l’inverse, si vous parvenez à signaler des événements qui sortent de l’ordinaire, votre compagnie sera davantage recherchée. Autrement dit, nos amitiés dépendent de notre capacité à partager des situations singulières.
Nous sommes tous plus ou moins experts à ce jeu ; généralement nous en sortons tous gagnants, mais cela exige notre entière concentration. Ce fonctionnement cognitif nous a été légué par nos ancêtres. Dans notre espèce, la capacité à produire de l’information, autrement dit de la surprise, a remplacé le muscle comme principal critère d’alliance. Les chimpanzés préfèrent avoir des amis forts. Nos amis ne sont pas nécessairement les individus les plus musculeux ; ce sont ceux qui sont capables de nous montrer des aspects surprenants du monde qui nous entoure. Et nous aussi, pour conserver leur amitié, nous leur signalons les situations qui nous semblent singulières, en n’en omettant aucune.