La saga des grands magasins

Démocratisation de la mode, invention des soldes, création de la vente par correspondance… Au milieu du 19e siècle, les grands magasins révolutionnent le commerce, ouvrant la voie à la consommation de masse. Une épopée racontée par le musée des Arts décoratifs dans une foisonnante exposition.

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La Samaritaine, le Bon Marché, les Galeries Lafayette, le Printemps… L’épopée des grands magasins, nés au milieu du 19e siècle à Paris et célébrés par Émile Zola dans son roman Au Bonheur des Dames (1883) ou par les tableaux des Impressionnistes, nous semble familière. On ignore pourtant à quel point ces temples de la modernité, qui jetèrent les bases du commerce moderne, constituent une période charnière dans l’histoire de la consommation. Le musée des Arts décoratifs retrace jusqu’au mois d’octobre cette histoire passionnante à travers une exposition composée de quelque 700 pièces (affiches, vêtements, jouets, meubles, etc.) issues de ses collections 1.

L’histoire commence en 1852 avec la création par Aristide Boucicaut du premier grand magasin parisien : le Bon Marché. Cet ancien marchand de nouveautés, portraituré par William Bouguereau, star de la peinture académique de son temps, est emblématique d’une génération d’entrepreneurs au succès foudroyant. Comme lui, Jules Jaluzot et Jean-Alfred Duclos qui fondent le Printemps, en 1865, ou Ernest et Marie-Louise Cognacq-Jaÿ, qui ouvrent la Samaritaine en 1870, bénéficient de la vaste entreprise de modernisation de la France et de l’essor économique du Second Empire. Influencé par les idées saint-simoniennes, Napoléon III lance à partir de 1851 « une politique volontariste fondée sur la libéralisation des échanges » 2. La création de nouveaux établissements bancaires mobilise les capitaux nécessaires au financement de grands projets industriels et commerciaux. Le chemin de fer, dont le nombre de kilomètres exploités passe de 3 500 en 1851 à presque 17 000 en 1869, révolutionne quant à lui l’activité économique en facilitant la circulation des marchandises à bas coût.

Le mythe de la Parisienne

Les travaux du baron Haussmann – immortalisés par les photos de Charles Marville – remodèlent en profondeur la capitale. Paris devient le centre névralgique d’une vie économique et culturelle intense symbolisée par la bourgeoisie montante. Dotée de moyens financiers parfois conséquents, elle accorde une grande importance à son style de vie et à son habillement, essentiels pour affirmer son statut social. Si la sobriété est de rigueur chez l’homme, la femme bénéficie d’une grande diversité de toilettes. La Parisienne, élégante, affairée, va constituer la première clientèle des grands magasins, qui vont tout faire pour la séduire et la fidéliser. « Il faut que la femme soit reine dans le magasin, qu’elle s’y sente comme dans un temple élevé à sa gloire, pour sa jouissance et son triomphe », écrit Émile Zola dans les carnets préparatoires à l’écriture d’Au Bonheur des Dames.