Que diraient les éléphants… s’ils pouvaient parler ? Ceux du parc de Maetang (Thaïlande), en tout cas, auraient des choses à dire. Chaque jour ouvrable, sous les flashes de dizaines de visiteurs ébahis, fournis en pinceaux et couleurs par de gentils cornacs, ils exécutent d’une trompe agile un élégant autoportrait digne du talent d’un collégien moyen. Miracle de l’art animalier ou pure escroquerie ? Face aux chimpanzés qui barbouillent, aux chiens qui dessinent, aux chevaux qui peignent et aux oiseaux décorateurs, les avis sont toujours partagés : les enthousiastes jurent que ces animaux « sont des artistes », tandis que les sceptiques sont sûrs « qu’il y a un truc ». C’est que rappelle Vinciane Despret en ouverture de ce savoureux abécédaire des performances animales les plus étonnantes, « on en revient toujours à la même question » : celle de l’“agir par soi-même” ». Comme si les humains pouvaient se mettre à « faire une œuvre », comme ça, sans dressage et dans l’indifférence au regard d’autrui… Aux animaux, on adresse toujours les mêmes questions : peuvent-ils mentir, se reconnaître dans un miroir, jouer la comédie, se droguer volontairement, communiquer avec d’autres espèces, ressentir de l’indignation, de la honte, de la tristesse, peuvent-ils souffrir d’amour ou de désamour, jouir de l’ivresse du pouvoir, avoir des préférences sexuelles, montrer le sens du devoir, aimer les mathématiques ?
Ces intrigues, après avoir interpellé des philosophes, ont occupé les sciences du comportement – psychologie puis éthologie – et connu bien des renouvellements au cours du xxe siècle. Or les milliers d’expériences et d’observations réalisées, loin de construire un édifice de certitudes plus ou moins consensuelles, n’ont fait qu’ouvrir une série de débats et de réponses certes plus fines les unes que les autres, mais soumises à des modes successives. Ainsi l’imitation, que l’on attribuait volontiers aux singes qui « font des singeries », mais aussi aux mésanges et aux abeilles, passait au XIXe siècle pour le degré zéro de l’intelligence. À partir des années 1980, les vues changent : pour les psychologues, imiter exige de comprendre les intentions d’autrui, et c’est une compétence complexe, donc typiquement humaine. Les observateurs de gorilles et d’orangs-outans rapportent depuis des faits troublants et commencent à parler de « cultures animales ». Qu’à cela ne tienne, des esprits plus réticents répondent que ce n’est pas de l’imitation vraie, mais de la simple émulation : chaque individu trouve la solution lui-même.