On vous l’a dit et peut-être même répété : l’Anthropocène est arrivé et le sort de la Terre est entre les mains de l’espèce humaine, dont l’empreinte écologique est devenue si forte qu’elle modifie nécessairement le devenir de la planète. L’Anthropocène se lit en chiffres : 7 milliards d’humains, la moitié des terres émergées anthropisées, les réserves d’eau menacées, disparition en quarante ans de la moitié des mammifères, taux de gaz carbonique et d’azote terrestre inégalés, et surtout + 0,85° C de température mondiale depuis un siècle, et 2° C annoncés. L’Anthropocène c’est un futur menaçant, bien au-delà du seul changement climatique, et une responsabilité, celle de l’homme qui, croyant œuvrer au progrès, n’a pas mesuré les effets irréversibles de son action sur la nature. On vous l’a dit, et vous l’avez peut-être accepté sans discuter. Or, ce livre édité par Rémi Beau et Catherine Larrère vient à point rappeler que, du côté des spécialistes, on est rarement d’accord sur le sujet.
Et cela commence par des questions de datation. Le terme Anthropocène a été promu en 2000 par deux géochimistes, Paul Crutzen et Eugene Stoermer, pour qualifier la période qui, selon eux, commence avec le machinisme : symboliquement, ils ont retenu 1784, année où James Watt brevette la machine à vapeur. Cette date, emblématique de la révolution industrielle, est souvent retenue, car annonciatrice de la modification de la composition de l’atmosphère.
Mais d’autres spécialistes, considérant qu’après tout l’humanité avait commencé bien plus tôt à modifier son environnement, préfèrent confondre son début avec celui de l’agriculture et l’élevage, il y a environ 12 000 ans. Dans ce cas, l’Anthropocène ne serait qu’une manière, un peu plus parlante, de rebaptiser l’Holocène (ou « époque récente »). À ceux-là, l’anthropologue Philippe Descola répond dans ce volume qu’il ne faut pas confondre anthropisation et Anthropocène : dans un cas, on désigne des transformations locales et souvent réversibles, dans l’autre, le changement est planétaire et irréversible. Or, le plus évident des événements historiques reliant les activités humaines à un tel changement, reste bel et bien ce phénomène qu’on a appelé « capitalisme industriel, révolution thermodynamique, technocène, modernité ou naturalisme », qui commence vers 1750, et démultiplie sa croissance au milieu du 20e siècle. Pour autant, l’affaire n’est pas réglée.