Penser l'Histoire universelle Rencontre avec Hervé Inglebert

Hervé Inglebert analyse les enjeux de l’histoire à grande échelle : 
comment restituer la totalité des passés de l’humanité ?

Hervé Inglebert est un historien qui affectionne la longue durée, les grandes synthèses. Son dernier ouvrage, Le Monde, L’Histoire (1 240 pages) est une historia, une enquête au sens antique du terme. Ce livre protéiforme peut se lire comme un exposé quasi exhaustif des histoires universelles* 1, d’ici et d’ailleurs, d’hier et d’aujourd’hui ; ou comme une réflexion épistémologique sur la notion d’Histoire universelle ; voire un questionnement sur la raison d’être de telles fresques. Car l’auteur ambitionne d’adapter la marche de cette histoire aux nécessités de notre temps.

Les grincheux lui reprocheront de sortir de son champ de compétence en voyant trop large, en abordant des domaines réservés aux spécialistes des sources chinoises ou arabes, en se frottant à l’anthropologie et à la philosophie. Il admet prendre des risques. Explique qu’il en est à sa quatrième synthèse de plus de 500 pages. Que ce projet lui a demandé sept ans de réflexion. Que l’ambition d’une histoire vaste n’est pas nouvelle. En vérité, ce spécialiste de l’Antiquité tardive – concept déjà transgressif en ce qu’il vise à restituer la continuité liant Antiquité et Moyen Âge –, aime surtout se jouer des frontières, qu’elles soient temporelles, disciplinaires ou spatiales.

Comment un expert ès Antiquité en vient-il à rédiger un volumineux essai sur les histoires universelles ?

Pour quatre raisons. D’abord une très grande admiration pour l’œuvre de Fernand Braudel, mêlant réflexion sur la longue durée et ambition de la grande histoire. Ensuite, ma spécialité, les problématiques culturelles de l’Antiquité tardive. Ce faisant, à un moment donné, on rencontre la manière dont les chrétiens ont inventé une nouvelle forme d’histoire, la chronique universelle.

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Troisième raison, j’ai toujours été intéressé par l’histoire des mentalités, qui m’a appris qu’il y a plusieurs manières de penser le monde, ou plutôt les Mondes, avec une majuscule, au sens d’univers communs. Quatrièmement, j’ai la chance d’être dans un belvédère temporel idéal pour ce genre de sujet. Celui qui travaille sur la culture dans l’Antiquité tardive est censé connaître la culture classique. Il comprend ce qui se passe à l’époque médiévale et moderne, puisque les éléments de l’Antiquité tardive sont restés essentiels jusque vers 1700. Et comme je connais plus ou moins spontanément, pour y vivre, la période contemporaine, j’estime être bien placé pour aborder ce genre de sujet.

Quel serait le premier enseignement que vous tirez de ces voyages dans le temps, l’espace, la pensée des autres ?

Un premier constat : l’Histoire universelle, comme concept, apparaît vers 1750 en Europe. Il a existé avant des récits qui se sont intéressés à la totalité du passé. Mais la plupart des cultures s’intéressent au passé comme mythologie, non pas comme histoire. Et parmi celles qui voient le passé comme histoire, rares sont celles qui envisagent une histoire universelle. Car cela suppose de prendre en compte l’histoire des autres, quand la plupart des peuples ne s’intéressent qu’à eux-mêmes.