Difficile, à l’heure actuelle, de s’enthousiasmer pour la vie politique, au moins en France. Au-delà de préférences partisanes, un certain nombre de critiques du fonctionnement de notre démocratie semblent partagées par une majorité, pointées récemment par le sociologue Yves Sintomer (1). Un décalage idéologique, tout d’abord, qui s’est ostensiblement manifesté à l’occasion du référendum sur la Constitution européenne. Une classe politique très largement favorable au projet, des électeurs à 55 % contre après des semaines de campagne intense : un tel écart, sur un sujet majeur, semble indiquer l’antagonisme des visions du monde entre représentants et représentés. Ce décalage idéologique se double d’un décalage sociologique de plus en plus criant : la politique continue d’être largement l’affaire d’hommes blancs plutôt âgés appartenant aux classes supérieures. On en déduit la liste des groupes sous-représentés : femmes, populations dites « issues de l’immigration », jeunes, classes populaires… Dernière critique majeure : la professionnalisation, qui tend à réserver le monopole de l’opinion légitime à ceux qui ont fait de la politique un métier et à instaurer en la matière une césure entre personnes « compétentes » et « incompétentes ».
Le constat est bien établi, connu de tous, souvent même partagé par les acteurs politiques eux-mêmes. Pourtant, les pratiques ont toujours autant de mal à évoluer. Serait-il impossible d’inventer de nouveaux modes de représentation et de participation politiques ?
S’inspirer de la démocratie directe ?
Comment impliquer davantage les citoyens dans le processus de décision ? Des innovations ont certes eu lieu, mais essentiellement en dehors du champ politique. Dans la galaxie de ce que l’on a appelé les « nouveaux mouvements sociaux », on a vu apparaître des fonctionnements inspirés de la démocratie directe que les années 1970 avaient portée aux nues : décisions prises au consensus et donc sans vote (AC !, G10), fédéralisme donnant aux groupes locaux tout pouvoir (Sud-PTT), absence de porte-parole officiel, délégués nationaux révocables à tout moment… Certes, les mésaventures d’Attac qui annonce qu’un autre monde est possible et se retrouve embourbée dans une histoire de bourrages d’urnes (2), montrent que ces fonctionnements sont difficiles à maintenir. Ils existent néanmoins.
De telles évolutions sont-elles imaginables dans le champ politique institutionnel ? Dans les années 1980, des mouvements aussi opposés que Les Verts (fondé en 1984) et Chasse Pêche Nature et Tradition (CNPT, 1989) s’étaient présentés comme des tentatives de « faire de la politique autrement », avec comme point commun le rejet de la « politique politicienne » et des partis « coupés de leur base ».
Plus récemment ont émergé, notamment lors des élections municipales de 1995 et 2001, des listes « citoyennes » qui entendaient « désenclaver le champ politique en l’ouvrant davantage, de l’intérieur, sur l’univers social, pour rendre les frontières davantage poreuses entre société et acteurs politiques ». Parmi les plus connues, les listes « Motivé(e)s » refusent par exemple toute structure organisationnelle et ne fonctionnent qu’en démocratie directe. Affichant leur apolitisme, ils réhabilitent la convivialité (« Buffet, punch, cidre, reportages, élus, candidats… De l’ambiance pour un dimanche ! ») pour inciter les citoyens, au-delà des élections, à s’investir dans la démocratie locale. Mais malgré les bons scores réalisés (8,22 % à Rennes, 12,5 % à Toulouse, 16 % à Épinay-sur-Seine…), le mouvement « Motivé(e)s » semble avoir eu du mal à maintenir sa dynamique : comme Les Verts ou CPNT, il a été très vite confronté à l’alternative de se structurer et donc d’accepter a minima certaines règles du jeu politique traditionnel (alliances, centralisation des décisions, hiérarchisation…) ou bien ne peser d’aucun poids dans la compétition électorale (encadré p. 24). En témoignent crûment les récents propos de Magyd Cherfi, chanteur du groupe Zebda, candidat aux élections municipales de Toulouse en 2001 sur la liste « 100 % Motivé(e)s », et en 2008 sur la liste du socialiste Pierre Cohen car il ne veut plus « rêver au maire idéal » : « Cette fois-ci, il faut gagner. À l’inverse de la précédente campagne, il faudra moins de spontanéité que dans le mouvement initié par les Motivé(e)s. L’objectif est de montrer que nous maîtrisons les dossiers. Une campagne municipale ce n’est pas forcément une fiesta (3). »