La philosophie : discours ou mode de vie ?
Qu’est-ce que la philosophie ? En posant cette question, dans un article intitulé « La philosophie est-elle un luxe ? », Pierre Hadot remarque que le plus souvent les non-philosophes considèrent la philosophie comme un discours abstrus et abstrait, développé par quelques privilégiés pour répondre à des questions incompréhensibles et sans intérêt. La philosophie serait donc un vain bavardage, infiniment éloigné de ce qui constitue la substance de la vie des hommes et des femmes : leurs joies, leurs plaisirs, leurs soucis, leurs souffrances, leurs angoisses. Bref, la philosophie comme discours purement théorique ne peut que paraître un luxe dérisoire.
Pourtant, la philosophie n’a pas toujours été conçue comme un édifice conceptuel coupé de la réalité concrète de la vie quotidienne. Pour les philosophes antiques, au contraire, le discours philosophique devait être toujours mis « au service » de la vie et de l’action, et la philosophie était pratiquée plutôt que simplement pensée : elle donnait forme et substance à un mode de vie spécifique.
Est-il possible ou souhaitable de « réactiver » aujourd’hui cette manière de concevoir la philosophie ? Peut-on pratiquer à nouveau celle-ci comme un outil de transformation de nous-mêmes et de notre vie de tous les jours ?
Pierre Hadot et les exercices spirituels
La réflexion de P. Hadot sur la philosophie comme manière de vivre trouve son origine dans une difficulté à laquelle sont confrontés les lecteurs contemporains des textes philosophiques antiques. Ces textes, en effet, contiennent souvent plusieurs incohérences, si bien qu’il semble impossible d’en tirer une quelconque théorie générale univoque et conséquente. Faudrait-il en conclure que les philosophes de l’Antiquité ne savaient pas raisonner ? D’après P. Hadot, il n’en est rien. Il convient plutôt de prendre au sérieux l’idée que, pour eux, la fonction principale du discours philosophique était pratique : il ne visait pas à informer les lecteurs sur un agencement de concepts, mais à les former. Plus que des thèses, les textes philosophiques antiques enseignaient donc des « voies » ; ils étaient le reflet d’une conversation vivante entre un maître et un disciple, ainsi que de ses enjeux pédagogiques et psychagogiques. C’est pourquoi le cœur de la philosophie antique est constitué par une série d’« exercices spirituels ».