La philosophie peut-elle rendre la vie meilleure ? À cette question éthique et politique, Platon répond par un problème. D’un côté, cela ne fait aucun doute, philosopher change la vie pour le mieux : c’est parce qu’il est philosophe que Socrate est le plus juste des hommes dans une Athènes marquée par la violence et l’injustice ; c’est parce que la philosophie est guidée par l’exigence de vérité et la recherche du bien qu’elle seule peut conduire les hommes et les cités au bonheur véritable. C’est l’une des raisons pour lesquelles la pensée de Platon prend la forme du dialogue, c’est-à-dire d’un échange comportant une forte dimension éducative. Ses œuvres mettent en scène un personnage principal, Socrate le plus souvent, qui conduit progressivement son interlocuteur à réactiver en lui-même sa capacité de se questionner, de s’interroger sur le bien-fondé de ses propres opinions et de ses propres valeurs, ce dont il devrait pouvoir tirer profit pour conduire sa vie.
Pourtant, d’un autre côté, Platon fait aussi cet amer constat : rares sont ceux qui se prêtent au jeu de la philosophie. Sous l’effet d’une multitude de facteurs – le caractère, l’éducation, le contexte social et politique où ils ont grandi –, la plupart des hommes s’en détournent, la moquent voire l’attaquent, surtout s’ils font masse. Les Dialogues de Platon regorgent ainsi de textes qui mettent en scène le philosophe isolé, ridiculisé et en danger dans la cité. Son propre maître, Socrate, n’a-t-il pas fini par être condamné à mort par ses concitoyens ? Incapables de l’entendre, ils l’accusèrent de corrompre les jeunes gens et d’introduire de nouveaux dieux dans la cité, et pour cela lui firent boire la ciguë. La tentative de Platon lui-même de convertir à la philosophie les tyrans de Syracuse, Denys I puis Denys II, pour en faire de bons politiques ne s’est-elle pas soldée elle aussi par un terrible échec qui faillit lui coûter la vie ? Il y aurait là de quoi donner raison à tous ceux qui estiment que philosopher ne mène qu’au malheur et ne vaut pas une heure de peine.