Ne lui dites pas qu’il a quitté la Compagnie de Jésus et l’École freudienne, il vous dira que ce sont elles qui l’ont quitté. Éternel dissident de 92 ans, François Roustang reste un franc-tireur expert en esquives, pirouettes et paradoxes qui refuse les techniques et les opinions définitives. Son triptyque La Fin de la plainte, Il suffit d’un geste et Savoir attendre est réédité sous le titre général Jamais contre, d’abord (Odile Jacob, 2015). Il y délivre la substantifique moelle de sa pratique de la psychothérapie : attention confiante à l’égard du patient, méfiance envers la technique et le langage même, intérêt pour le corps, abandon au lâcher-prise, autant d’éléments favorisés par l’hypnose… et encore, sans exclusive. « Chaque fois que l’on me demande de parler ou d’écrire sur ou à propos de ma pratique, je suis dans l’embarras, écrit-il. J’ai l’impression de ne rien tenir en réserve. Tout ce que je croyais avoir compris ou pensé n’est plus que du sable qui glisse entre mes doigts. » Heureusement, il en faudrait davantage pour nous dissuader de réaliser un entretien…
« Dès que pour la première fois nous ouvrons la porte à quelqu’un, on peut dire que les jeux sont faits », écrivez-vous. Cette règle est-elle valable pour toute rencontre, aussi bien pour une interview que pour une thérapie ? Le cas échéant, qu’est-ce qui s’est déjà joué entre nous ?
Beaucoup de choses. Lors d’une première rencontre, on sait si quelqu’un est accessible ou pas, si on va pouvoir avancer dans la relation, s’aventurer. Les premières impressions sont tout à fait capitales, y compris lors de la prise de contact dans un contexte thérapeutique : indépendamment du langage, l’inscription dans l’espace, la prestance, le corps, la voix, la vue déterminent la relation. Le thérapeute doit être d’une ouverture sans limite, ne porter par définition aucun jugement préalable, aucun diagnostic. Il doit toujours recevoir le patient comme si c’était la première fois, sans préjugé, afin même de lui laisser la possibilité de n’avoir rien tiré de la séance précédente, et de recommencer à zéro. Le plus important, c’est le moment où quelqu’un s’éveille à lui-même : pour que ce soit possible, ne l’enfermons pas dans du connu.
Vous dites qu’il faut voir le patient non comme un malade, mais comme un futur guéri. Comment cela ?
Tout à fait. Nous ne sommes pas des malades, nous sommes des maladroits. On ne sait pas s’y prendre. Le thérapeute doit engager le dynamisme du patient pour que lui-même résolve sa difficulté.