Pourquoi condamner les icônes ?

Interdire l’image, c’est la juger impropre à représenter la vérité. Mais sa destruction relève, le plus souvent, de la volonté d’anéantir un ennemi détesté.

1538387937_icono.png

Au nom de quoi l’image fut-elle interdite et l’iconoclasme 5 encouragé ?

Lorsque les historiens soulèvent cette question, ils ne manquent pas de citer deux sources textuelles anciennes : la Bible et Platon. Le texte sacré des Hébreux, dont on sait qu’il inspira les trois monothéïsmes juif, chrétien et musulman, contient en effet un commandement explicite : « Tu ne feras point d’image taillée, ni aucune ressemblance des choses qui sont là-haut dans les cieux ni ici-bas sur la Terre, ni dans les eaux sous la terre 1. » Pour quel motif ? Les lignes et les pages suivantes en donnent un aperçu : « Tu ne te prosterneras pas devant elles (les images taillées), tu ne les serviras point, car je suis l’Éternel, ton Dieu, le Dieu jaloux », etc. Plus loin, la tonalité se fait agressive : Dieu défend aux Hébreux en marche vers le pays de Canaan de se prosterner devant les idoles des peuples qu’ils soumettent, et ajoute : « Tu briseras entièrement leurs statues. »

L’iconoclasme biblique semble remplir deux fonctions : manifester un respect exclusif envers un dieu unique, et nier ceux des autres. Il s’oppose en cela aux pratiques d’autres cultures contemporaines, qui n’hésitaient pas à adopter les divinités locales des peuples et des cités qu’ils dominaient. Pour autant, la Bible n’expose pas vraiment pourquoi ce « dieu jaloux » ne devrait pas être représenté, de même que le reste de la création. L’iconophobie 6 biblique semble sous-entendre, sans s’en justifier, qu’il n’existe pas d’autre raison de fabriquer des images que de leur rendre un culte.

Cette injonction peu explicite ouvrira la porte à toutes sortes d’interprétations, allant du refus plus ou moins large de la figuration, dont a hérité la branche majoritaire de l’islam (sunnite), à l’iconolâtrie 7 déclarée des chrétiens catholiques et orthodoxes, dont on verra qu’elle a quand même connu de sérieuses péripéties.

publicité

Une copie trompeuse

Voyons maintenant ce qu’en dit Platon, au moins deux siècles plus tard. Le contexte est très différent : Platon est grec, et les temples de sa cité regorgent de majestueuses effigies des divinités immortelles, héros et autres créatures qui peuplent le panthéon des Hellènes. Mais Platon ne les aime pas, pour des raisons intellectuelles : l’image est indigne de ce qu’elle représente, elle n’est qu’une copie trompeuse, dégradée, qui ne saurait rendre compte de la vérité ni des dieux ni des choses. Le luthier qui fabrique une flûte est capable d’en jouer. L’artiste qui la représente, non : c’est donc un charlatan. Cette doctrine hostile aux images ne s’imposera nullement à Athènes mais, via des auteurs comme Plotin et Cicéron, s’invitera dans les débats théologiques qui marquent les dix premiers siècles du christianisme, aussi bien en Occident qu’en Orient. La position de Platon ne relève d’aucune des trois religions monothéistes, mais elle vient comme à point nommé justifier ce que la Bible ne parvenait pas à formuler, tout en le suggérant : à savoir qu’on doit bannir l’image parce qu’elle manque de respect à ce qu’elle représente si mal. C’est dans cet esprit-là, en principe, que l’art sacré musulman classique ne comporte aucune image du prophète ni d’aucune autre scène naturaliste.