Profils de délinquants, quelques classiques


The Gang (Frederick L. Thrasher, 1927)

The Gang est une étude pionnière, qui s’inscrit dans le cadre des enquêtes sur la ville et ses communautés menées au sein de l’école de Chicago. Le Chicago des années 1920 fait songer au monde de la mafia et des gangs. Frederick L. Thrasher en a recensé plus de 1 300 (1 313 exactement) regroupant en tout 25 000 personnes : principalement des adolescents et de jeunes adultes. Ces gangs existaient principalement entre le centre-ville et les zones résidentielles, c’est-à-dire dans la « ceinture de la pauvreté », là où se concentrent la misère, les nouveaux immigrés, où l’on vit dans des taudis.
Les gangs prolifèrent là où la société est désagrégée. Pour les sociologues de Chicago, il est ainsi démontré la désorganisation ou l’absence de cadre de socialisation : famille, école, emploi. Pour mener son enquête, F.L. Thrasher a dépouillé les journaux, mené des investigations auprès de la police, des hommes politiques, des barmen, mais sans s’introduire lui-même au sein des gangs.

The Jack-Roller: A delinquent boy’s own story (Clifford Shaw, 1930)

Le jack-roller est un « détrousseur d’ivrogne » : on désignait ainsi les enfants qui se « font la main » en commençant par des délits peu risqués. C’est le cas de Stanley, un jeune délinquant de Chicago, qui avait 16 ans et était déjà en prison lorsque le sociologue Clifford Shaw l’a rencontré pour la première fois. Son histoire est celle d’un enfant pratiquement élevé dans la rue. Né dans une famille nombreuse (7 enfants), sa mère décède quand il avait 4 ans ; sa belle-mère viendra habiter chez eux avec ses 8 enfants ! L’enfance de Stanley est marquée par la pauvreté, les coups, la brutalité, et, très tôt, les fugues et les premiers larcins. Il est arrêté par la police pour la première fois à l’âge de 6 ans !
C. Shaw va rester en contact avec Stanley pendant plusieurs années, et raconter son histoire dans le détail. La méthode de « l’histoire de vie », que C. Shaw décrit longuement dans son introduction, suppose de retranscrire tels quels les propos du délinquant pour ne pas les transformer dans le langage savant du sociologue. Mais pour ne pas tomber dans le piège du récit à la première personne (avec ses oublis, ses justifications, ses erreurs…), C. Shaw précise qu’il faut vérifier les dires du jeune en examinant les procès-verbaux de police, d’autres témoignages.
Jack-Roller est devenu rapidement un grand classique de l’école de Chicago. Et les criminologues s’étaient toujours demandé ce qu’était devenu Stanley.
Il se trouve qu’en 1975, un sociologue du nom de Jon Songrass retrouve Stanley the jack-roller. Agé de 66 ans, il vit à Los Angeles où il s’est retiré. Le sociologue lui demande alors de refaire le récit de sa vie. On apprend que Stanley, contrairement aux rumeurs relayées par les premiers criminologues selon lesquelles il avait fini par se « ranger », a en fait poursuivi toute sa vie son activité de gangster.
Mais le résultat de cette nouvelle étude se révéla finalement assez médiocre. De sa vie, Stanley the jack-roller ne pouvait tirer que des souvenirs assez vagues et formulés en termes abstraits et généraux. Son second témoignage était loin d’avoir la richesse du premier Jack-Roller.