Protestantisme aux États-Unis : l'autorité resacralisée ?

La faiblesse de l'autorité a longtemps caractérisé le protestantisme. Pourtant, aux États-Unis, le charisme des prédicateurs participe au succès du courant évangélique. La nouvelle autorité pastorale emprunte des chemins inédits.

La Réforme protestante du xvie siècle passe pour avoir contribué au recul général de l'autorité sacrée dans les sociétés occidentales. Le protestantisme, affirme Jean Baubérot, fit « émerger dans l'histoire du monde occidental un doute fondamental quant à l'origine divine de quelque autorité humaine que ce soit » 1.

En raison notamment de sa fragilité institutionnelle, le protestantisme a souvent fait figure de « religion de la sortie de la religion ». Au contraire de l'Eglise catholique, qui s'appuie sur une institution sacralisée, la sainte Eglise pourvoyeuse d'une légitimité d'en haut pour tous ses prêtres, le protestantisme a désacralisé l'institution. De sacrée, l'Eglise ne devient que fonctionnelle, seconde au regard de la relation directe entre Dieu et l'individu. Ses prêtres (les pasteurs) ne constituent plus du coup des médiateurs obligés. Ils restent utiles, certes, mais n'ont pas de prérogative exclusive dans la dispense des rites d'Eglise : « Le lieu de la vérité n'est plus dans l'institution en tant que telle, mais dans le message proclamé par cette institution 2 . »

La relation à Dieu, au sacré, s'est démocratisée, tout fidèle pouvant interpréter le message biblique et communiquer directement avec le Divin en vertu de l'axiome théologique protestant du sacerdoce universel des croyants. Cette désacralisation de l'institution a eu un impact direct en termes d'émancipation individuelle et d'autorité pastorale. L'avènement du protestantisme a marqué une étape décisive dans la désacralisation de l'autorité du prêtre.

Pourtant, la réalité protestante à l'entrée du xxie siècle est tout autre : on assiste au développement massif d'un type d'autorité pastorale forte, appuyée sur une revendication de légitimité divine particulière. Richard Quebedeaux, dès 1982, s'interrogeait sur le « développement des cultes de la personnalité dans le christianisme américain » 3, faisant tout particulièrement allusion à l'autorité pastorale très vigoureuse manifestée par de nombreux conducteurs d'Eglises. Le développement spectaculaire, ces quarante dernières années, du protestantisme évangélique (et singulièrement de sa vigoureuse composante charismatique et pentecôtiste) aura eu pour corollaire, et cela peut paraître paradoxal, un très net mouvement de resacralisation de l'autorité pastorale.

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Un protestantisme multiforme

Ce mouvement de resacralisation de l'autorité en protestantisme est incompréhensible si l'on fait l'impasse sur le changement majeur intervenu aux xixe et xxe siècles : le paradigme de chrétienté a été remplacé peu à peu par celui de « société de consommation des biens religieux ». Au primat de l'encadrement collectif institutionnel se substitua l'accompagnement individualisé ; la territorialisation des appartenances s'estompa au profit de la notion de congrégation locale, de communauté élective (en terre catholique, c'est par exemple la transformation des paroisses en communautés dans les années 1960-1970) ; l'insertion dans un sens pré-établi laissa place à la quête, voire au « bricolage » individuel ; la valorisation de l'obéissance collective à la hiérarchie s'effondra devant le droit d'inventaire et la « religion à la carte » (salad-bar christianity, comme on le lit outre-Atlantique) ; à l'offre monopoliste succéda une offre pluraliste. On est donc progressivement passé d'une définition du religieux par l'institution à une définition du religieux par l'individu.

C'est dans ce contexte de mutation décisive, marqué par l'effondrement de la pratique religieuse traditionnelle 4 et la fin des identités religieuses héritées, que s'est développé un protestantisme de conversion peu tributaire de l'héritage culturel et institutionnel de la chrétienté. Ce protestantisme est multiforme. Il s'agit bien d'un protestantisme, dans la mesure où il place la source de la légitimité religieuse et chrétienne dans la Bible et non dans l'institution, mais c'est un protestantisme de conversion, c'est-à-dire qu'il valorise tout particulièrement le choix religieux individuel, militant, à fort impact biographique. D'où un accent mis sur la congrégation locale et le modèle associatif beaucoup plus que sur le registre institutionnel. Les Etats-Unis ont été touchés précocement, et massivement, par cette influence dite évangélique : les colonies américaines ont en effet été peuplées, à l'origine, des protestants radicaux qui contestaient la chrétienté européenne. Par ailleurs, et plus d'un siècle avant la loi française de 1905, la Constitution américaine stipule la séparation des Eglises et de l'Etat, valorisant de ce fait un « marché libre » des religions où l'Etat s'efface devant le choix des individus. Les Etats-Unis constituent ainsi aujourd'hui un laboratoire privilégié d'observation des nouvelles formes d'autorité en protestantisme.