La constitution des empires coloniaux modernes précède de peu l’essor de la profession psychiatrique en Europe. Mais c’est essentiellement à partir du XXe siècle que se constitue un savoir psychiatrique en contexte colonial. Celui-ci, au gré de son histoire, s’avère très réceptif aux impératifs politiques et culturels de son temps. Ce qui n’a pas manqué d’interroger sur sa crédibilité, voire de jeter sur celle-ci un discrédit définitif. Toutefois, la psychiatrie coloniale est loin d’être monolithique, et connaît plusieurs phases au cours de son histoire de moins d’un siècle. Elle est souvent dominée par quelques figures qui ont imprimé leur marque en assurant le destin de quelques concepts. Elle a construit un corpus qui, s’il est constitué de préjugés flagrants, comporte néanmoins des éléments d’observations qui seront repris dans la période de décolonisation pour construire une ethnopsychiatrie, dont les contours ne cessent cependant d’être redéfinis à l’âge contemporain.
Des structures insuffisantes
À la fin du XIXe siècle, lorsque l’empire colonial français est stabilisé dans ses frontières, tout un ensemble de structures liées à la santé le parcourt. La décision de faire de Tunis, en 1912, la ville d’accueil du Congrès francophone de psychiatrie et de neurologie constitue une reconnaissance implicite de ce nouvel espace territorial, et marque la volonté de montrer que les psychiatres contribuent à une science coloniale en train de s’élaborer.