Psychiatrie, gérer sa maladie

Les soins psychiatriques encouragent aujourd’hui la réinsertion du patient dans la vie ordinaire.
Mais l’autonomie permise par la maladie mentale n’a-t-elle pas ses limites ?

En 1961, dans son livre Asiles, le sociologue canadien Erving Goffman décrivait l’hôpital psychiatrique comme une « institution totale », c’est-à-dire un lieu de vie et de travail « où un grand nombre d’individus, placés dans une même situation, coupés du monde extérieur, pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et vigoureusement réglées ». Il montrait que l’institution s’ingéniait à détruire l’identité des individus par l’isolation du monde extérieur, la privation des objets personnels, les violences physiques et morales…

 

Chimie ou parole ?

Cinquante ans plus tard, E. Goffman aurait peine à mesurer l’étendue du changement. Certes l’hôpital psychiatrique existe toujours, et tout n’y est pas rose. Mais, d’une part, il n’est plus fondé sur le modèle asilaire, qui a fait l’objet d’une critique radicale. Et, d’autre part, il n’est désormais qu’une des parties prenantes du système de soins psychiatriques. Alors que la demande en matière de « santé mentale » a explosé, l’internement n’est plus, loin de là, l’unique réponse en matière de prise en charge de la maladie. Différentes structures, organisées autour de centres médico-psychologiques (CMP) servant de pôle d’accueil et de coordination, proposent des alternatives à l’hospitalisation complète. Ainsi, à côté des hôpitaux de jour ou de nuit et des centres de crise (prise en charge de courte durée), les centres d’accueil à temps partiel (CATTP) visent par exemple « à maintenir ou à favoriser une existence autonome par des actions de soutien et de thérapeutique de groupe », auxquelles les malades participent ponctuellement. Mais on trouve également des « maisons communautaires », gérées par les patients. Certains sont hébergés dans des familles d’accueil salariées par l’hôpital (accueil familial thérapeutique, AFT). Au lieu d’une opposition binaire guérison/maladie, on pense donc désormais en termes de continuum de la maladie, et la dimension de réinsertion sociale est devenue centrale. L’intervention psychiatrique se veut de moins en moins invasive au fur et à mesure que le patient progresse en autonomie et se réinsère. Autrement dit, il s’est produit, comme le dit Alain Ehrenberg, un « changement dans l’esprit du soin » marqué par « la création d’un nouveau type de patient pour lequel tout est conçu pour qu’il soit l’agent de son changement (1) ». Mais quelle autonomie peut être envisagée pour des malades a priori entravés dans leurs facultés mentales et la gestion du quotidien ? Dans quelle mesure peuvent-ils participer à leur propre changement ? Différentes enquêtes menées sur les pratiques psychiatriques montrent que ces questions ne sont pas abstraites, mais se posent dans le quotidien des pratiques des professionnels.