Il est important de bien différencier les troubles mentaux de la détresse psychologique, ou souffrance psychique, qui est un état de mal-être n’étant pas forcément révélateur d’une pathologie ou d’un trouble mental.
Cette souffrance assez fréquemment rencontrée (15 à 20 % des gens sont touchés à un moment donné de leur vie) se définit par la présence de symptômes anxieux et dépressifs, peu intenses ou passagers, ne correspondant pas à des critères diagnostiques, et qui peuvent être réactionnels à des situations éprouvantes ou à des difficultés existentielles. Cette souffrance n’est donc pas à proprement parler un trouble mental ; elle peut, si elle persiste et s’aggrave, évoluer vers un trouble, mais la considérer comme tel reviendrait à psychiatriser l’expérience humaine dont les difficultés de la vie et les réactions qu’elles entraînent font partie inhérentes.
Les « psychoses »
Ce sont des troubles qui impliquent des manifestations que les personnes dites normales n’ont en principe jamais, comme par exemple délirer, c’est-à-dire voir des choses que personne d’autre ne voit, ou encore entendre des voix que personne d’autre n’entend. Ces manifestations peuvent se produire chez des personnes « normales » qui ont pris des substances hallucinogènes par exemple, mais celles-ci disparaîtront lorsque l’effet des drogues se dissipera. Si la plupart des personnes qui prennent des drogues reviennent à leur état normal, certaines particulièrement fragiles, par exemple parce qu’elles ont des membres de leur famille qui ont souffert de troubles psychotiques, peuvent déclencher un épisode psychotique lors de la prise de ces substances.
Ces maladies, appelées « psychoses », sont relativement rares, la prévalence de la schizophrénie est évaluée autour de 1 % de la population. Parmi elles, un type de délire se rapproche de sentiments qui peuvent survenir chez les « normaux » : le délire de persécution. Les gens pensent qu’on les épie, qu’ils sont suivis, qu’on leur en veut. Or ces choses peuvent arriver dans la réalité de chacun lors d’un conflit professionnel ou conjugal, la frontière entre normal et pathologique est alors d’autant plus difficile à évaluer que ce type de conflits aigus fragilise les personnes et les rend particulièrement vulnérables car elles ne sont pas dans leur état normal.
Cependant, si dans certaines circonstances chacun peut avoir des « réactions paranoïaques », ce type de délire est souvent présent dans les épisodes psychotiques. Dans ce cas, il s’accompagne d’une anxiété intense et de paroles et d’actions inappropriées qui mettent le sujet en danger vis-à-vis de son entourage et/ou de son milieu professionnel, il faut alors le prendre en charge par une thérapie médicamenteuse, à savoir les antipsychotiques. La situation est d’autant plus difficile à gérer que la personne qui vit ces sentiments de persécution se méfie de tout le monde, y compris du monde de la psychiatrie qui lui propose de l’hospitaliser et de lui donner des médicaments. Souvent la personne est hospitalisée contre son gré. Le système de soin français est mal organisé vis-à-vis de ces situations qui mettent l’entourage dans l’obligation de faire appel aux forces de l’ordre pour une hospitalisation contrainte, forcément très traumatisante, et qui éloigne encore plus la personne de la psychiatrie. En principe ces problèmes devraient être gérés par des équipes mobiles, dites de crise, mais dans les faits, soit ces équipes n’existent tout simplement pas sur ce territoire car les moyens de la psychiatrie sont très inégalement répartis, soit elles existent en théorie mais ne peuvent intervenir qu’à certains moments qui, la plupart du temps, ne correspondent pas aux heures où les problèmes aigus se posent, ce qui les rend inefficaces.
Alors qu’il était admis que les « délires » étaient des symptômes pathologiques, les enquêtes de population ont mis à jour qu’une partie relativement importante des gens déclarait avoir eu des hallucinations visuelles ou auditives : en France, après avoir éliminé les personnes qui souffraient de troubles psychotiques identifiés, 5,7 % des personnes rapportaient au moins une expérience de ce genre dans leur vie, dont 1,3 % dans les douze derniers mois. 4,9 % ont eu des hallucinations et 1,6 % des idées délirantes de type paranoïaque ou l’impression d’insertion de pensée dans leur tête. Ce pourcentage correspond à la moyenne de l’enquête multipays menée par l’OMS. Toutefois, il peut être beaucoup plus élevé dans certains pays comme le Brésil 1.
Étant donné que la prise de substances (alcool ou drogues) ou le demi-sommeil peuvent engendrer de telles impressions, les questions posées excluent ces circonstances. Ces expériences psychotiques sont relativement rares et n’arrivent que quelques fois dans une vie bien que ces personnes vivent a priori une vie normale et ne soient pas considérées comme souffrant de troubles mentaux, du moins de troubles psychotiques. Cependant, on s’aperçoit qu’elles sont plus fragiles que les autres, notamment vis-à-vis des problèmes d’anxiété et de dépression ou d’anxiété posttraumatique.
Les troubles bipolaires, appelés antérieurement psychoses maniaco-dépressives, font aussi partie des psychoses. Ce que les psychiatres appellent la « manie » n’a rien à voir avec ce qu’on appelle en langage courant avoir des manies. La manie au sens psychiatrique est, en effet, l’inverse de la dépression avec laquelle elle alterne dans le trouble dit « bipolaire ». Les personnes en état maniaque sont très excitées, ont des idées de grandeur délirantes, ne dorment plus, parlent si vite qu’on a de la peine à les suivre et changent très souvent d’idées ; elles peuvent aussi avoir des comportements bizarres : des achats très au-dessus de leurs moyens, une activité sexuelle débridée ainsi que des comportements violents qui amènent souvent à les faire hospitaliser contre leur gré. Cet état peut être moins marqué, on parle alors d’hypomanie, la personne conservant une hyperactivité et les mêmes symptômes que ceux décrits ci-dessus mais à un moindre degré.