L’Empire chinois est longtemps passé aux yeux d’Européens admiratifs ou angoissés pour une entité immense et intemporelle. Et pourtant, les premiers empires représentèrent une mutation complète et profonde, qui toucha tous les territoires et les couches sociales. Les historiens chinois ont dès lors cherché à expliquer son avènement et sa confondante rapidité. Avec l’apparition d’un empire centralisé, le temps est sorti de ses gonds. Peut-être est-ce l’une des raisons pour lesquelles l’empire Qin (-221/-206), en dépit de l’important héritage qu’il laissa aux dynasties suivantes, resta dans l’histoire une sorte de contre-modèle absolu, et un traumatisme dans les consciences.
La dynastie des Zhou, qui précéda celle des Qin, avait mis en place lors de sa fondation durant le 11e siècle avant notre ère un système reliant une multitude de principautés, dotées d’une large autonomie, même si elles devaient se tourner vers le souverain des Zhou (portant le titre de roi, wang) en ce qui concernait les affaires militaires et rituelles. Ces principautés centrales (zhongguo, expression qui désignera par la suite la Chine en tant que pays) étaient de taille relativement modeste. Mais certaines principautés périphériques, parfois considérées comme barbares, prirent une importance croissante ; ainsi la principauté de Qin, située à l’extrême-occident de l’espace sinisé.
Essor et chute des Qin
Cette principauté, dont le souverain prit le titre de roi, avait déjà mis en œuvre, depuis le 4e siècle avant notre ère, de grands travaux et une organisation administrative centralisée. Celle-ci devait à la fois lui assurer la domination sur les autres États et servir de modèle pour le futur empire, fondé en 221 av. J.-C. Le roi de Qin devint ainsi le Premier empereur, Shi Huangdi (que l’on pourrait traduire « Auguste souverain du commencement »). Il étendit à l’Empire une administration nombreuse, stricte et hiérarchisée, fondée sur le mérite, ainsi qu’un appareil de châtiments extrêmement sévères. Et il chercha, toujours par des moyens militaires, à affermir son pouvoir sur les régions frontalières. Il parcourut lui-même l’espace de ce nouvel empire, faisant ériger en divers lieux des stèles sur lesquelles étaient gravés les mérites de l’entreprise impériale.
Cette entreprise était surtout caractérisée par la démesure : dans le Nord furent élevées forteresses et murailles, dont l’ensemble dénommé « Grande Muraille » formait une construction si imposante que son maître d’œuvre, le général Meng Tian, se demanda s’il n’avait pas « coupé les veines de la terre » ; au sud de la capitale Xianyang fut construit un immense palais, tandis que sur le mont Li, non loin, était préparé le mausolée destiné à accueillir pour l’éternité la dépouille de l’empereur. Tous ces chantiers reposaient sur une main-d’œuvre se dénombrant par centaines de milliers d’hommes, et épuisèrent les forces de la population. De fait, les premières révoltes contre l’Empire s’allumèrent dans les campagnes, même si elles furent ensuite rejointes par des rejetons des anciennes lignées nobles déchues. Si l’empereur des Qin fut souvent caractérisé par son hostilité meurtrière envers les lettrés, il imposa une unification de l’écriture qui fut déterminante, établit un corps de « lettrés au vaste savoir » et une importante bibliothèque qui fut malheureusement détruite lors du sac de la capitale en 206 av. J.-C.