Qu'est-ce qu'une guerre ?

« La guerre, écrit Clausewitz, est un vrai caméléon, changeant de nature dans chaque cas concret. » Existe-t-il, par-delà l’histoire des peuples et des pays, de grands invariants ? Et faut-il craindre l’émergence de nouveaux conflits majeurs ?

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Il existe un paradoxe de la guerre. Alors même que la proportion des victimes des guerres est sans doute la plus faible depuis les débuts de la civilisation, on évoque régulièrement un « retour de la guerre ». Les conflits, même peu nombreux, sont très médiatisés et attirent l’attention des opinions. Alors que la fin de la guerre froide avait suscité l’illusion d’un nouvel ordre mondial pacifique, chaque épisode conflictuel visible – Koweït, ex-Yougoslavie, Afghanistan, Irak, Ukraine… – fait figure de rappel de réalités douloureuses : la persistance de l’incapacité des sociétés humaines à régler pacifiquement leurs différends, la force des idéologies et des passions qui animent la volonté de combattre.

Mais d’abord, comment définir la guerre ? Il s’agit au sens propre d’une forme de violence politique : un conflit armé à grande échelle opposant au moins deux groupes humains organisés. Plus précisément, souligne Carl von Clausewitz, c’est un « acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté ».

Au sens figuratif, le mot « guerre » désigne un combat politique organisé et méthodique. Parfois avec des moyens militaires – la « guerre contre la drogue », la « guerre contre le terrorisme »… –, parfois non. Ainsi Emmanuel Macron soutenait-il en 2020 : « Nous sommes en guerre. » Il souhaitait ainsi à la fois mobiliser la société française et la convaincre de son engagement personnel à faire du combat contre la pandémie de covid-19 une priorité politique absolue.

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Un autre terme a fait irruption : « interventions ». Les guerres peuvent être des conflits interétatiques classiques (affrontement entre pays mitoyens, interventions « de voisinage ») ou des guerres internes, avec ou non le gouvernement comme partie prenante, et souvent internationalisées. Les interventions peuvent être menées par des grandes puissances militaires, en coalition (Koweït, Afghanistan), par une organisation internationale (Kosovo, Libye) voire par l’Onu (Corée). Elles ont pour but de soutenir un allié, de réduire une menace, de porter secours à une population ou de rétablir la stabilité. Mais parler « d’intervention » peut aussi être une manière de déguiser voire de légitimer une offensive militaire classique, comme l’a fait la Russie en Ukraine. Il est vrai que la « déclaration de guerre » formelle n’existe plus guère : elle est associée au temps où l’usage des armes était considéré comme un mode quasiment normal de relation entre États.

Des facteurs rationnels… et passionnels

La plupart du temps, les conflits ont des ressorts multiples : origines lointaines, motivations profondes, causes immédiates, buts avoués et objectifs cachés… Les démêler est rarement aisé – sans compter qu’ils sont parfois irrationnels. Les facteurs identitaires (régionaux, ethniques, religieux) sont aujourd’hui plus importants que les déterminants matériels. Ce que l’on appelle « conflits frontaliers » ne sont pas des guerres « pour » la frontière (sauf dans de très rares cas, lorsque des ressources ou des lieux symboliques sont situés dans la zone frontalière, comme entre les deux Soudan), mais plutôt pour l’identité et la cohésion des pays concernés. Les guerres de pure conquête territoriale ont été délégitimées, et la prédation des ressources est tombée en déshérence, notamment du fait de la libéralisation du commerce international. Il est devenu « plus facile d’acheter que de voler », sauf pour les conflits internes où elles sont au contraire un ressort essentiel.