Qu'est-ce que décider dans une organisation ?

Incertitude, complexité, informations lacunaires, divergences d'intérêts... prendre une décision dans une organisation n'est pas une chose aisée. Présentation de quelques théories éclairant le processus décisionnel.

Décider, est-ce trouver une solution optimale à un problème donné ?

Selon le modèle économique dit de l'Homo oeconomicus, le décideur est un être parfaitement rationnel. Ceci signifie qu'il a des objectifs clairs et explicites, stables dans le temps, mutuellement indépendants. Cet individu dispose aussi d'une connaissance exhaustive des choix possibles et est capable d'anticiper toutes les conséquences de ces choix. Pour décider, l'Homo oeconomicus sélectionnera parmi toutes les solutions celle qui va maximiser la réalisation de ses objectifs. Ici, on dit que l'individu opère dans le cadre de la rationalité absolue. Or, l'économiste américain Herbert Simon a montré que ce cadre est abstrait car les décideurs ne calculent pas tout, ne peuvent pas tout prévoir. Ils examinent les solutions séquentiellement et ils s'arrêtent de réfléchir quand ils trouvent la solution leur procurant un niveau minimal de satisfaction et non un optimum. Ceci provient de leurs limites physiques et intellectuelles, des capacités partielles et différentes en termes de conceptualisation, de mémoire, etc.

Est-ce à dire que les décisions prises sont irrationnelles ? Certainement pas. H. Simon montre que si la rationalité du décideur n'est pas absolue, elle est simplement limitée. L'individu construit un modèle simplifié de la réalité, une définition de la situation à son échelle et avec ses propres moyens. Celle-ci est d'abord essentiellement basée sur son expérience passée. La plupart de ses décisions sont routinières. Il se replie sur des solutions qu'il avait déjà utilisées dans des circonstances lui apparaissant grossièrement similaires, et qui s'étaient révélées satisfaisantes. Bref, l'homme administratif décrit par H. Simon (Administrative Behavior, Macmillan, 1947) n'est pas l'Homo oeconomicus. Une bonne partie de la littérature se borne à le constater, nous proposons d'aller plus loin.

En effet, si l'on suit la thèse de Philippe Mongin (« L'approche de la rationalité "limitée" ou "procédurale" comparée à l'approche économique », Revue économique, 1984), ce comportement de « satisfacteur » reste en fait un « maximisateur limité ». Alors, une étape nouvelle doit être franchie : les limites de la rationalité jouent aussi au niveau délibératif de la décision, par un processus de simplification cognitive. Dans cette perspective, l'univers des possibles n'est plus donné, il est à construire par le décideur. Le processus de décision n'opère pas seulement sur des données objectives extérieures existantes, il s'en crée et s'en construit pendant le déroulement du processus. Tout autant que résolution de problème, la décision est choix de formulation de problème. En d'autres termes, processus de choix et situation de choix ne sont pas séparés, ils interagissent. L'acteur, par son action, crée et modifie l'état du monde. Par exemple, si l'environnement externe est incertain, c'est aussi parce que l'incertitude existe dans l'esprit de l'individu.

Comment décrire le processus de décision dans une organisation ?

Une décision implique une part au moins des étapes suivantes, itératives : reconnaissance de l'existence d'un problème ; recherche de solutions « toutes faites » ; élaboration d'autres, innovantes ; évaluation des solutions ; choix de l'une, y compris bien sûr celle de ne rien faire, et son application. Ceci dit, si l'on regarde le processus du choix dans et par les organisations, il est paradoxal. Par exemple, un choix essentiel va être effectué dans l'indifférence générale, des décisions unanimes enthousiastes longuement préparées ne seront jamais adoptées, des efforts majeurs déployés pour acquérir un droit de participer à des décisions ne seront jamais concrétisés... Plusieurs raisons expliquent ces bizarreries. D'une part, la décision (le résultat) est souvent confondue avec le processus qui y mène et présumée y être reliée. En fait, la décision sert à bien d'autres choses : remplir des attentes de rôle, des engagements antérieurs, exercer, défier ou confirmer des relations de confiance, d'amitié, d'antagonisme, de pouvoir ou de statut, socialiser et se regrouper dans divers ensembles informels... et enfin se donner du bon temps. D'autre part, l'ambiguïté est omniprésente dans les organisations : les objectifs sont plus ou moins clairs et cohérents, les liens entre les actions et les conséquences sont peu perceptibles et à chaque instant la participation y est changeante et incertaine.